ROBIN

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J'avais pris une décision qui serait certainement déterminante pour mon futur. Je faisais confiance à Louise, je me sentais bien avec elle et je sentais que si je continuais de lui cacher des choses, elle se détacherait progressivement. Je le sentais déjà lorsqu'elle me parlait, elle mettait de la distance. Probablement pour ne pas souffrir par ma faute. Et en un sens, elle avait raison. J'avais longuement réfléchi à ce sujet, j'avais pesé le pour et le contre et je m'étais torturé l'esprit pendant des heures en regardant le plafond de ma chambre. Il y avait de grands risques qu'elle prenne peur, qu'elle parte si je lui disais toute la vérité. Elle changerait probablement d'avis sur moi, sa vision ne serait plus la même. Mais en même temps, j'avais caché ma famille et son histoire à tout le monde depuis toujours. Il fallait bien que je m'ouvre à quelqu'un un jour et, Dieu seul sait pourquoi c'était tombé sur elle, mais je sentais que c'était le bon moment pour cela.

Louise m'avait invité chez elle et cela m'avait rassuré car je préférais lui parler dans le confort de son petit appartement. Elle m'avait assuré qu'il n'y avait personne chez elle, sa mère étant à un rendez-vous chez le psychiatre. Chose qu'elle avait qualifié ainsi : « afin de garder son arrêt maladie et de continuer à avoir des rentrées d'argent mais évidemment pas pour se soigner réellement ». On avait tous nos problèmes de famille et j'étais la dernière personne à pouvoir juger.

Après qu'elle m'ait ouvert la porte et quelques baisers et échange de banalités, je lui dis que je devais lui parler.

-Ah oui, donc tu as décidé de me faire peur là, a-t-elle dit en rigolant doucement.

-Ce n'est pas par rapport à toi ou à notre relation, l'ai-je rassuré immédiatement. Ça me concerne moi. J'aimerais t'expliquer ce que je t'ai caché depuis le début. Ce que je n'ai jamais dit à personne.

Elle prit automatiquement un air plus sérieux et posa sa main sur la mienne, probablement pour m'encourager à continuer. Je soufflais un peu, le stress à son comble, m'apprêtant à me livrer plus que je ne l'avais jamais fait jusqu'à présent.

-Ma mère est morte à cause de moi. Enfin, maintenant je sais que ce n'était pas vraiment ma faute mais je crois que je m'en voudrais toute la vie quand même. Elle a eu un accident de voiture en venant me chercher un jour. J'étais tout petit et mon père m'en a toujours voulu pour ça. C'était la femme de sa vie. Alors, il a commencé à me frapper. Dès qu'il avait un peu trop d'alcool dans le sang ou que j'avais fait une bêtise, chose qui arrivait assez souvent d'ailleurs, il me battait. J'ai grandi sous ses coups et je le reproduisais avec les garçons qui m'embêtaient. Je ne compte pas le nombre d'heures de colle que je me suis pris à cause des bagarres. Évidemment, ça énervait mon père et c'était un foutu cercle vicieux. Puis, j'ai grandi. J'ai pris des forces et un énième jour où mon père a voulu me frapper, j'ai été plus rapide que lui. J'ai frappé mon propre père et j'ai eu peur ce jour-là. Tu sais, étonnamment je n'avais jamais eu peur de mon père. Je pensais qu'il m'aimait au fond et qu'il faisait ça pour m'éduquer, pour mon bien, pour enlever la culpabilité qui me collait à la peau. Je n'ai jamais eu peur de lui ou de mourir sous ses coups, il s'arrêtait toujours bien avant. Ce jour-là pourtant, j'ai eu peur de moi. Je n'ai pas pu m'arrêter, j'étais aveuglé. Je l'ai frappé jusqu'à ce qu'il s'évanouisse et je l'ai laissé là, sur le tapis du salon, ensanglanté. Heureusement, il n'avait pas grand-chose au final, c'était plutôt superficiel. Et il ne m'a plus retouché même si ses remarques font parfois encore plus mal que ses coups. Le problème c'est que j'ai continué à frapper les mecs qui me faisaient chier. Je ne suis pas fier de ce que j'ai fait mais c'est dans ma nature, je crois. Dans mes gènes. Je ne suis pas quelqu'un de bien et j'ai peur de ce que je suis capable de faire lorsque je suis en colère. Ça changera probablement ta perception de moi et je prends beaucoup de risques en te disant cela car je ne veux vraiment pas te perdre. Mais il faut que tu le saches. Ça fait partie de moi et je comprendrais si tu préférais arrêter tout, maintenant que tu sais la vérité.

J'avais tout débité d'une traite pour ne pas manquer de courage et je voyais progressivement le regard de Louise changer. Passant de la pitié à la colère à la tristesse enfin. Elle mit quelques secondes à assimiler toutes les informations que je venais de dévoiler. Je me sentais totalement à nu et je détestais ce sentiment.

-Tu n'es pas obligée de répondre quelque chose, je sais que c'est une situation compliquée... ai-je précisé, d'une voix faible.

-Robin... Je suis vraiment désolée pour tout ce qui t'es arrivé. Tu ne méritais pas de perdre ta maman et encore moins de subir tout ce que ton père t'a fait subir. Je suis touchée que tu m'aies tout raconté, vraiment. Ça veut dire beaucoup, je le sais. Je me doutais que tu n'avais pas eu une vie facile et que tu avais des choses à gérer et l'image que j'ai de toi ne changera pas pour autant. Tu as toujours été adorable avec moi et la personne que tu me décris, je ne la vois pas quand je te regarde. Peut-être que ça fait partie de toi mais moi je te vois comme tu es, au fond. Tu es quelqu'un de bien, je le sais. Tu as peut-être fait des choses dont tu n'es pas fier mais à vrai dire, on l'a tous fait, ça. Je ne te jugerais jamais pour cela. Et je ne partirais pas non plus.

Je pris conscience que j'avais retenu ma respiration pendant sa réponse et je relâchais un peu la pression en entendant ses mots.

-Je ne te frapperais jamais si tu te poses la question, ai-je précisé, un peu honteux de devoir me justifier sur cela.

-Non, Robin, je ne me posais pas la question. Si tu te bagarres avec des mecs pour une raison ou une autre, soit. Ça ne me regarde pas vraiment en fait. Je ne suis pas une grande fan de la violence, je pense que tu t'en doutes. Mais ça ne me concerne pas directement et tu n'as jamais montré une once de violence en ma présence.

-J'ai juste des moments où je me sens tellement en colère...

Elle a hoché la tête en me regardant droit dans les yeux.

-Je pense que tu apprendras à canaliser cette colère avec le temps. Tu as déjà songé à faire de la boxe ? Je sais, c'est cliché. Mais ça peut peut-être aider...

-J'y ai pensé à un moment mais je me suis dit qu'apprendre à frapper pourrait empirer les choses. Finalement, je me rends compte que c'était un raisonnement débile. Si je veux me battre, je sais le faire. Autant mettre mon énergie dans un sport, tu n'as pas tort.

-C'est une idée comme une autre. Toujours est-il que je te remercie de m'avoir partagé ton histoire. Je suis là pour toi, tu sais.

-C'est aussi pour ça que je ne veux pas que tu ailles chez moi. Je ne veux pas que tu rencontres mon père, je ne veux pas qu'il t'adresse la parole, qu'il te touche ou même que tu voies mon propre comportement en sa présence.

-Je comprends totalement et je ne te forcerais jamais. Je suis désolée d'avoir insisté à l'époque...

-Tu ne pouvais pas savoir, c'est normal... C'est pour cela que je travaille au bar. J'essaye d'économiser le plus possible pour pouvoir me barrer. Je ne supporte pas de le côtoyer chaque jour et je rêve de partir de la maison le plus tôt possible.

-Je comprends...

Elle a glissé ses mains derrière mon dos et a posé sa tête sur mon épaule. J'avais encore les mains qui tremblaient à cause de l'anxiété mais elle me rassurait. Elle avait eu la meilleure réaction possible et j'étais soulagé de lui avoir tout avoué. Même si cela n'avait pas été facile et que cela changerait peut-être notre relation tout de même. Pour le moment, je préférais me concentrer sur la chaleur de son corps et la douceur de sa peau. Et puis sa voix qui m'apaisait quand j'en avais besoin.

Destinées CroiséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant