ELEANOR

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-Et je n'ai pas fait de crise depuis une semaine.

J'étais à un rendez-vous avec mon psychologue et je lui racontais ce qu'il s'était passé dans ma vie depuis la dernière fois. J'avais eu raison de reprendre un suivi et j'appréciais beaucoup mon thérapeute actuel, il me convenait et je me sentais en confiance en sa présence.

-Ça c'est très bien, Eleanor, je vous félicite. Bien sûr, nous ne sommes pas à l'hôpital, je ne vais pas vous demander d'aller vous peser pour noter votre poids mais j'aimerais m'assurer que vous mangez suffisamment. C'est bien de ne plus avoir fait de crises de boulimie depuis la dernière fois mais vous avez des tendances à l'anorexie et j'aimerais que vous soyez totalement honnête avec moi. Est-ce que vous mangez suffisamment ?

-Parfois c'est compliqué de manger. Mais mes parents me surveillent, mon frère aussi... Je mange peut-être un peu moins et, vous savez, j'aimerais être la meilleure possible maintenant que je sors avec quelqu'un.

-Et vous pensez qu'être la meilleure possible signifie la plus maigre possible ?

Je me suis tue quelques instants.

-Peut-être... J'essaye, pourtant. Mais je crois vraiment que ma relation avec Noah m'aide avec ça. Avoir quelqu'un qui vous dit droit dans les yeux que vous êtes belle, même si vous ne le pensez pas vous-même, c'est rassurant.

-Il faut prendre soin de vous pour vous, avant toute chose. Une relation peut faire du bien, c'est évident. Mais votre petit-ami vous aimera peu importe votre poids. Il va falloir que vous acceptiez de prendre un peu de poids, c'est naturel, surtout à vôtre âge.

-C'est terrifiant.

-Oui, j'imagine. Mais une fois que vous l'accepteriez, vous verrez que la vie n'en sera que plus facile. Imaginez-vous dans dix ans. Est-ce que vous pensez vraiment que vous priver de nourriture, chose essentielle à la vie, vous rendra fière de vous dans le futur ?

-Ça me semblera certainement futile.

-Je le pense aussi. Prenez du recul même si c'est compliqué. Vous êtes sur une très bonne voie et je pense que vous avez véritablement le désir de vous en sortir.

-Pourquoi moi j'y arriverais alors que tant d'autres sont encore à l'hôpital ou... morts ?

-Certaines circonstances font que la vie se déroule ainsi. Vous avez une force intérieure très résistante et des proches qui sont là pour vous entourer. Vous ne pourrez jamais oublier ceux qui ont fait partie de votre parcours, qui ont souffert de la même ou d'autres maladies mentales que vous. Mais vous pouvez choisir de leur rendre hommage. D'une manière ou d'une autre mais, personnellement, je pense que rester en vie pour vous battre est une très belle manière de leur faire honneur.

-Je pense aussi. J'ai repris contact avec la mère de mon ami qui s'est suicidé, je l'ai trouvé sur Facebook, qui l'aurait cru ? Vous savez, elle était alcoolique à l'époque, elle l'est certainement toujours d'ailleurs. Je voulais juste savoir où se trouvait sa tombe, elle m'a envoyé l'adresse. J'aimerais y passer, prochainement. Je ne sais pas trop pourquoi, d'ailleurs. J'ai toujours trouvé que les gens qui parlaient aux tombes paraissaient stupides, que c'était inutile. Après tout, la personne est morte, si on veut lui parler, autant le faire dans notre tête. Mais j'ai quand même envie d'aller sur place. Je me demande s'il se rappellerait de moi, s'il était encore en vie.

-Je pense que, où qu'il soit et peu importe où il aurait été s'il était encore parmi nous, il se souviendrait de vous. Je ne pense pas que vous soyez une personne facile à oublier, Eleanor. C'était votre ami et je suis sûr que vous l'avez beaucoup aidé.

-Pas assez, apparemment.

-Ce n'était pas votre rôle de le sauver. Vous étiez vous-même dans une situation compliquée. Il ne faut pas vous en vouloir pour ce qu'il s'est passé.

-Vous pensez que je devrais raconter tout ça à Noah ?

-Je n'ai pas à vous dire quoi faire à ce sujet mais si vous pensez que cela pourrait vous soulager, je vous y encourage vivement.

-J'ai pensé à aller sur la tombe avec lui. Ce serait la première personne à être au courant de cette histoire, mis à part ma famille.

-Et c'est un beau cadeau que vous lui feriez.

-J'ai très peur de cette relation, vous savez...

-Votre relation avec Noah ?

-Oui.

-Vous avez peur qu'elle se termine ?

-Oui. J'ai peur de souffrir. Et de faire quelque chose de désespéré si cela arrive.

-Vous savez, vous avez déjà vécu tant d'épreuves durant si peu d'années de vie. Bien sûr, si jamais cela devait arriver, ce serait un vrai coup dur, je ne vais pas vous mentir. Mais vous avez les ressources nécessaires pour y faire face, ça, je le sais. J'ose espérer que vous viendriez me voir si jamais vous sentez que vous perdez pied. Votre relation amoureuse ne détermine pas votre existence. Voyez-la plutôt comme un bonus.

-Un bonus de vie. J'aime bien. Peut-être que j'y ai droit maintenant que j'ai repris un suivi psy ? C'est ma petite récompense pour avoir fait des efforts.

Il a souri.

-Peut-être bien que vous avez raison, Eleanor.

J'ai souri en retour.

-Je parle beaucoup avec vous, c'est rare, vous savez. Vous devez m'inspirer.

-C'est un honneur pour moi d'inspirer une personne telle que vous, Eleanor.

-Peut-être qu'un jour, j'écrirais un livre sur mon histoire. Vous y occuperez une place de choix, ne vous faites pas de souci.

-À vrai dire, je n'en attendais pas moins de vous.

Destinées CroiséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant