Prologue

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Nuit du lundi 26 au mardi 27 septembre 2029 – Sproul State Forest – Domaine Larkmîr

Kadvael Solvmorläs de Larkmîr se tenait debout devant l'immense oriel qui donnait sur ses jardins privatifs, couverts d'une épaisse poudreuse blanche. La demeure Larkmir était un petit palais gothique de trois étages. Le dernier abritait les quartiers des domestiques et les réserves d'antiquités. L'éclat ivoirin de la pleine lune étincelait dans la neige immaculée, puis se déversait par les carreaux, illuminant le salon parqueté de sa splendeur opaline. Le Maître Vampire attendait l'arrivée imminente de son amie de longue date, Hortense Ismelir De Masvalt, Seigneuresse à la beauté éblouissante, ainsi que celle de son jeune amant. Kadvael n'était pas sensible au froid et le velours léger de son costume noir ne servait que d'apparat. Sa belle carrure était déifiée par le halo blanc qui redessinait son contour, il avait gominé ses cheveux bruns en arrière et ses yeux en amande, rougeoyant d'un verni sanguin, se perdaient dans la contemplation du ciel nocturne. Il n'y avait selon lui rien de plus lénifiant que la silencieuse conversation des astres. Oui, Kadvael Solvmorläs avait toujours apprécié la quiétude de la nuit, ainsi que l'aspect surnaturel que portaient les ombres, cependant, depuis que le destin avait fait de lui une créature des ténèbres, il devait avouer que l'éclat du soleil lui manquait.

Son ouïe acérée capta le doux chuintement du battant. En vérité, il avait entendu ses invités arriver avant qu'ils ne franchissent le seuil de la pièce. Il avait perçu le bruit de la porte d'entrée du palais, lorsque son majordome les avait accueillis. « Monsieur Solvmorläs est au deuxième étage, dans le salon bleu », avait dit Halfred. Le chuchotement de leur pas résonna dans son dos et il se retourna. Hortense arborait de longs cheveux corbeau, ainsi que deux yeux en amande, luisants du même éclat sanglant que les siens. Elle lui adressa un sourire dangereux, laissant paraître ses quatre paires de crocs, deux en haut et deux en bas. Près d'elle, le jeune Alassane avait presque l'air d'un garçon.

« Il n'y a pas une nuit, depuis que je connais le mystérieux Maître Solvmorläs, où je ne l'ai pas trouvé occupé à lambiner devant les fenêtres, plaisanta-t-elle. Après toutes ces années, tu t'attends toujours à voir un ange tomber du ciel ?

Kadvael lui sourit, rehaussant son visage d'un charme déroutant. Tous deux ne considéraient plus la beauté vampirique que d'un œil amusé, presque dédaigneux de cette splendeur froide qu'ils avaient été habitués à côtoyer. C'était la banalité des traits humains, à présent, qui surprenait leurs yeux. Ils leur trouvaient un aspect mal dégrossi.

— J'attends l'aube toutes les nuits, répondit-il. Je ne sais pas si ça changera.

— Tu ferais pâlir les plus grands dramaturges, avec tes phrases déprimantes à mourir. Tu sais, je connais des milliers de non dotés qui vendraient père et mère pour effleurer ta condition.

Il pouffa.

— Je sais.

Hortense lui prit doucement la main et l'entraina vers l'un des canapés en rotin qui trônaient devant la cheminée blanche, où rougeoyaient les vestiges d'un feu éteint. Le trio s'installa.

— Tu n'allumes jamais les lumières ? demanda Alassane.

Sa figure angélique et couronnée de cheveux dorés contrastait avec sa nature nouvelle de prédateur.

— À quoi bon ? Je peux voir dans l'obscurité.

Sa voix portait un chagrin bien établi. Kadvael avait préparé une belle cruche en cristal pleine d'hémoglobine, ainsi que trois coupes vides sur la table basse en acajou. Il se pencha et servit ses invités.

— Mumm, fit Hortense en avalant une gorgée écœurée, qu'est-ce que c'est que cet immonde breuvage ?

— Des poches de sang récupérées à l'hôpital.

Elle leva les yeux au ciel. Kadvael se refusait toujours à boire du sang frais, et ce, même si un humain se présentait la gorge offerte en suppliant d'être mordu.

— Alassane voulait te parler de quelque chose, lâcha Hortense de but en blanc. Ta léthargie excessive n'échappe à l'œil de personne et, comme moi, il commence à s'inquiéter de te voir dépérir. (Elle se tourna vers son amant.) Raconte-lui.

Le jeune vampire se pencha en avant.

— J'ai entendu parler d'un mage nécromant capable de contrôler le voile, dit-il, il s'appelle Ayden Somedarme. J'ai pensé que, comme la malédiction de la lune repose sur le fait que nous vivons du mauvais côté du voile, un mage capable de le contrôler pourrait peut-être nous aider à la lever.

Kadvael souffrait de cette nuit séculaire qu'était devenue sa vie et l'information attisa immédiatement son intérêt.

— Tu penses qu'il accepterait de nous aider ?

— Non, répondit Hortense. Nous avons déjà sollicité son aide... Il a refusé, arguant qu'aucun peuple allié n'accepterait des vampires qui peuvent se déplacer de jour. Nous serions considérés comme trop dangereux.

— Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?

— Je voulais te faire une surprise, minauda-t-elle. Mais comme il a refusé, j'ai deviné que tu m'en voudrais, si je mettais en œuvre un enlèvement sans ton accord. Ta morale est si...

— En enlèvement ? coupa-t-il. Vous plaisantez, tous les deux ? Vous voulez enlever un mage ?

— Oh, je t'en prie... (Elle agita la main avec désinvolture.) Ce n'est pas le fils de sa Majesté le Roi des Sorciers, personne n'y verra rien et on leur rendra en un seul morceau.

Un sourire inquiétant étira ses lèvres carmin.

— Kadvael, reprit Alassane, je sais que tu es très à cheval sur l'éthique, mais tu ne penses pas que ça vaut le coup d'essayer ? On ne lui fera aucun mal. (Il soupira.) Et puis... moi aussi, le soleil me manque.

Son œil devint triste et Kadvael eut de la peine pour lui. Si jeune et déjà désireux de revoir l'astre du jour, l'éternité risquait d'être longue. Le Maître Solvmorläs ignorait si c'était par pitié ou par égoïsme, mais il avait le cœur lourd lorsqu'il sentit sa morale flancher.

— Vous avez une idée de comment vous y prendre ?

*

Pour info : les Maîtres et les Seigneurs Vampires sont en haut de la chaîne alimentaire, ce sont des vampires de naissance. De base, ce sont des humains qui sont morts de façon violente et qui sont revenus à la vie à cause de leur douleur/tristesse/colère.

Les seigneurs sont simplement plus âgés que les maîtres. 

Voilà ! À très vite 🙂

AssujettiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant