Assujetti

Chapitre 46 : Appelle-moi autrement

Mardi 24 décembre 2029 – Sproul State Forest –Domaine Larkmîr

Malgré les nombreuses mises en garde d'Hortense, Kadvael était retombé dans le jeu piégeur des sentiments et elle l'observa avec dépit lorgner amoureusement sur son chasseur nocif, pendant qu'Éléonore bandait son poignet blessé. La jeune mage fit infuser une pierre de sang pour Van, qui but le breuvage en faisant la grimace et lui recommanda beaucoup de repos. Derrière elle et occupée à juger, Hortense anticipait déjà le moment où Van allait sortir de ses gonds, partir en psychose et mettre son précieux Kadvael dans tous ses états. Hors de question de le retrouver à fanfaronner complètement ivre dans le hall du palais ! Il avait failli brûler, cette nuit et c'était sans nul doute dû à l'état terrible dans lequel il s'était mis. Dormir sous une fenêtre avec les volets grands-ouverts, quelle idée ! Une chance que Van l'ait trouvé à temps. Ce coup de bol redorait son blason auprès de dame Ismelir, qui choisit de lui laisser le bénéfice du doute.

Le moment du coucher fut des plus étranges. Van avait laissé les draps défaits et les photos éparpillées dessus. Kadvael le suivit dans sa chambre à coucher, un instant de latence lui succéda, puis il déclara qu'il voulait se doucher et alla s'enfermer dans la salle de bain. La porte avait été changée, aussi il savoura sa solitude et s'offrit le luxe de s'attarder sous le jet d'eau chaude. Il n'avait plus les idées claires et, bien qu'il n'en parlât pas, le choc de son précédent réveil restait ancré en lui. Ses mains tremblaient encore. Il n'était ni serein, ni apaisé. Il avait manqué de mourir et se souvenait que les volets du bureau étaient clos lorsqu'il y était entré. Les avait-il ouverts pendant sa crise existentielle alcoolisée ? Avait-il décidé de voir l'aube pour de bon ? Van l'avait tiré de là in extremis. Van... Son chasseur idéalisé qui ne savait pas aimer. Malgré les preuves évidentes de l'amour de Van, la façon dont il l'avait sauvé, l'absence d'hésitation lorsqu'il lui avait offert son poignet blessé, Kadvael ne parvenait plus à être détendu avec lui. Il réalisait qu'Hortense avait toujours vu juste. Van n'était pas bon pour sa santé mentale. Kadvael ne savait jamais à quoi s'attendre, quelle réaction il allait avoir et si elle serait positive. Il vrillait sans prévenir, passait d'un état à l'autre, lui soufflait le chaud et le froid.

Il était séducteur et enjoué puis, la minute d'après, il se mettait en colère pour un mot mal interprété. Ils avaient une discussion sérieuse et, soudainement, il lui grimpait dessus en lui demandant de « le baiser ». Kadvael ne s'était toujours pas accommodé de sa façon de parler, qu'il trouvait insultante envers lui-même. Compte tenu de ce que Van avait vécu, ça n'était pas surprenant, mais devait-il payer les conséquences des souffrances qu'on avait infligées à son étoile polaire ? Kadvael aimait Van et l'idée de se séparer de lui était difficilement envisageable. Cependant, il ne se voyait pas passer ses jours à marcher sur des œufs, uniquement par crainte d'engendrer une dispute inutile. Il n'avait aucunement l'intention d'abandonner Van à ses démons, mais il n'était pas non plus acceptable qu'il se condamne pour le sauver.

En sortant de la douche, il trouva son chasseur assis à même le tapis devant une flambée neuve. Le jeu des flammes se reflétait dans ses prunelles, avalant l'azure de ses yeux et il avait passé ses bras autour de ses genoux. Il était loin, perdu dans un souvenir peuplé de cadavres et d'effusions de sang. Cette foutue tête explosée sur le bitume qui ne voulait plus le lâcher.

— Cheveux noirs, là ?

Le jeune homme sursauta et se tourna d'un trait, découvrant Kadvael debout près de lui.

— Qu'est-ce que t'as dit ?

— Je t'ai demandé si ça allait.

Van sentit passer un soupçon d'angoisse. Il avait encore rêvé. Son magnifique vampire l'interrogeait des yeux, visiblement inquiet, toujours inquiet, pour lui. Le blond dévoila un sourire cornu.