Chapitre 34 : Les Rippers en fuite

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Nuit du jeudi 19 au vendredi 20 décembre 2029 – Woolrich

Le van des Rippers avait roulé jusqu'à Woolrich, une petite cité pavillonnaire située à une quarantaine de minutes du domaine. Ils avaient pu trouver une ferme auberge à proximité pour passer la nuit. Au départ, ils avaient prévu de se rendre à Lock Haven, mais la destination leur avait semblé trop évidente. Le trajet s'était déroulé dans un silence nerveux où seul Dean, éternel insouciant, s'était extasié à l'idée d'être enfin libre. « Je me demande pourquoi on n'a pas fait ça plus tôt ! avait-il dit. C'était plus simple que prévu. » Personne n'avait reparlé de la façon dont ils avaient récupéré Van, sur le perron, lorsqu'il avait quitté ce vampire en essuyant ses joues pleines de larmes. L'idée d'un assujettissement planait dans tous les esprits. Quand ils s'étaient installés dans le dortoir de la ferme auberge, choisissant un lit parmi les quatre superposés et les huit couches une place, les échanges s'étaient fait beaucoup plus maigres qu'à l'accoutumée.

Les Rippers avaient secrètement glissé des affaires de rechange et de toilette dans leurs sacs d'équipement. Ils avaient également emporté toutes leurs économies. Ils avaient conscience que ça ne pourrait pas leur durer une vie et qu'ils allaient devoir trouver des alternatives rapidement, mais c'était un début et ils ne s'étaient jamais sentis aussi libres. Dean, qui remontait le moral de troupes avec son enthousiasme, avait jeté son énorme sac à dos dans un coin, rapproché deux lits pour en faire un qui soit plus grand et s'était laissé tomber dessus en écartant les bras.

— Ah ! s'extasia-t-il. La première fois que je dors dans un lit deux places !

— Ils risquent de s'écarter pendant la nuit, prévint Elizabeth.

La rouquine était secrètement inquiète. Les Éveillés lui inspiraient une telle crainte qu'elle avait passé son temps à regarder dans le rétroviseur, par-dessus son épaule, puis par la fenêtre de la chambre lorsqu'ils étaient arrivés, le tout avec la certitude que des chasseurs débarqueraient de nulle-part pour les tuer. Chaque fois qu'elle y pensait, une bouffée d'angoisse lui soufflait dans la poitrine et elle devait faire un effort pour s'apaiser. Jamais elle n'en parlait aux autres. Les Éveillés ne lui avaient pas appris à exprimer ses émotions, simplement à les réprimer et à en avoir honte. Dans le fond, l'intégralité du groupe appréhendait les représailles, mais ils avaient tous été forgés dans le même moule et parler de ce qu'ils ressentaient était difficilement envisageable. Dean noyait ses émotions dans la drague, le sexe et l'excès d'engouement. Alaric ne parlait presque pas, tant il ne savait pas y faire et il avait tellement peur que son ventre était noué, tellement peur qu'il regrettait presque d'avoir secouru Van. Il avait conscience de cette lâcheté, pourtant justifiée, mais il en avait honte. Dans l'ensemble, les Éveillés avaient fait d'eux des machines à obéir, automatisées parce que traumatisées. Il était miraculeux qu'ils aient chacun une personnalité intacte. Et c'était sans doute ce qui faisait des Rippers la meilleure équipe de la base. D'une façon ou d'une autre, ils étaient parvenus à conserver leur humanité.

— J'ai piqué plein de barres protéinées dans le self, dit Elizabeth en s'asseyant sur son lit avec son sac sur les genoux. J'ai cinq canettes de boisson énergisante, des chips, des paquets de fruits secs, cinq pommes, deux barres chocolatées...

— Que deux ? s'offusqua Dean.

— Il n'y en avait plus. Et si tu n'es pas content tu n'avais qu'à le faire.

— J'étais occupé à récupérer les somnifères. Et Lola ne voulait plus me lâcher, ajouta-t-il avec un sourire en coin.

Elizabeth tira la langue, dégoutée et Dean ricana en se tournant vers Anna. À sa grande déception, celle-ci ne le regardait pas. Elle ne semblait même pas l'avoir écouté, occupée à ranger et plier ses fringues façon psychorigide. Dommage, il aurait aimé voir une réaction. De la jalousie ? Tu peux rêver, pensa-t-il avec dépit.

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