Chapitre 14 : Philtre et Taupe

454 61 56
                                    


Nuit du mardi 10 au mercredi 11 décembre 2029 – Sproul State Forest - Domaine Larkmîr

Ce soir-là, Kadvael se rendit dans la chambre du prisonnier en compagnie d'Eléonore, qui avait achevé la préparation de son philtre de persuasion. Lorsqu'il passa le seuil, il jeta un regard dépité à Van, en découvrant que ce dernier était, une fois de plus, attaché à son propre lit.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Van quand la mage lui présenta la potion.

— Un philtre de persuasion.

Le jeune chasseur se rigidifia, son regard devint perçant et sa bouche forma une ligne mince en bas de sa figure. S'il buvait et qu'il dénonçait l'informateur de Willbanks, c'en était fini de lui. Oui, il avait la certitude que son chef pourrait le retrouver, où qu'il aille et quoi qu'il fasse, même si le vampire se montrait clément, même s'il passait la frontière et changeait de pays, Willbanks lui inspirait une telle crainte qu'il sentait son jugement en permanence, comme un visage penché sur son épaule.

— Je ne boirai pas ça.

— Je n'allais pas te demander la permission, répondit-elle.

Kadvael s'approcha, prit son visage d'une main et plaqua sa tête contre le montant du lit de manière à l'immobiliser. Le cœur de Van fit une embardée, il paniqua, choqué par la puissance de sa poigne. Il tira vainement sur les menottes car tout, au sein du palais, avait été magiquement solidifié pour résister à la force titanesque des vampires, le mobilier comme ses fers. Kadvael appuya et tira la mâchoire inférieure de Van vers le bas, de façon à lui ouvrir la bouche. Éléonore glissa une goutte de potion dans un verre d'eau, se pencha sur le chasseur et versa le contenu entre ses lèvres. Il la fixa pendant toute l'opération, d'un œil acerbe, plein de crainte et de rancœur.

— On dirait un chihuahua chez le vétérinaire, commenta-t-elle.

Van s'étouffa presque avec la potion en tentant de la recracher, malheureusement pour lui, le liquide froid passa sa gorge et Kadvael le relâcha.

— Je suis désolé.

— Enculé.

L'insulte fouetta l'air et le regard sombre de Van se planta dans l'iris sanglant de Kadvael. Ce dernier ravala l'injure puis détacha le captif, qui se laissa aller contre le montant du lit, soudain groggy de fatigue.

— Quoi, tu ne dis rien ? s'étonna Eléonore.

— Qu'est-ce que tu veux que je dise ?

La jeune femme se tourna lentement vers lui, arquant un sourcil.

— C'est la première fois que j'entends quelqu'un t'insulter et s'en sortir sans menace, ni mandale. Je suis un peu étonnée. (Kadvael haussa les épaules.) Tu réserves ce traitement de faveur à tes proches, d'habitude.

— Bon ça suffit, qu'est-ce que tu sous-entends ?

— Quoi ? Mais je ne sous-entends rien, moi ! Je me pose des questions.

— Ne te moque pas de moi, Eléonore, je sais reconnaître un sous-entendu.

— Eh bah si tu es si sûr de toi, traduis-moi mon propre sous-entendu que je n'ai pas fait, s'agaça-t-elle.

Kadvael, sourcils froncés et mine coléreuse, se détourna d'elle et vit que Van s'était endormi.

— Le philtre a fait effet, dit-il.

Éléonore lui jeta un regard suspicieux, notant le brusque changement de sujet, puis se tourna vers Van. Le jeune homme n'était plus là. Sa conscience était en sommeil et son enveloppe charnelle, en proie au sortilège, répondrait à toutes les injonctions d'Eléonore. Elle avait mis une goutte de son sang ainsi qu'un extrait de ses larmes dans la mixture, se rendant maîtresse du philtre.

AssujettiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant