Chapitre 56 : La Grande Nuit

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Mercredi 10 avril 2030 – Elk State Forest - Palais de Raven Puissambre

Le palais de Raven Puissambre n'avait rien à voir avec le petit palais Larkmîr, ni même avec l'immense demeure de dame Ismelir, c'était un monstre de majesté, lugubre et colossal. Juché à flanc de colline dans le verdoiement d'une forêt de calocèdres, ses multiples toitures effilées pointaient vers le ciel nocturne comme des flèches de géant. Pour y accéder, les deux compagnons durent gravir un escalier suffisamment large pour accueillir cinq hommes alignés et qui montait le long de la colline sur deux kilomètres, en tournant à chaque nouveau palier. Ils arrivèrent devant une arche haute de douze mètres en arc brisé, flaquée entre deux murs. Une herse spectaculaire fermait le passage, lui-même gardé par quatre soldats en uniformes noirs. De part et d'autre, des flambeaux chatoyants éclairaient la petite place et les flammes léchaient le métal des supports.

Kadvael entendait le cœur de Van battre la chamade et pour cause, plus le moment fatidique approchait, plus l'appréhension se faisait grande. Une transformation n'était pas une mince affaire et elle était irréversible. D'autant plus qu'il n'avait aucune idée de comment la cérémonie devait se dérouler.

— Sûr ? lui demanda Kadvael une énième fois.

— Kad, protesta-t-il, on y est, là. Je sais ce que je veux.

— C'est une éternité dans la nuit qui t'attend.

— Une éternité avec toi c'est tout ce qui compte.

Kadvael lui adressa un sourire tendre et se baissa pour embrasser sa joue.

— Ça va bien se passer petit prince.

En vérité, Kadvael n'était pas non plus particulièrement à son aise. Il savait ce qui l'attendait. Transformer Van impliquait des gestes qui le terrifiaient, mais il n'imaginait pas une seule seconde laisser à quelqu'un d'autre le soin de le faire. Il devait lui faire boire son sang, une quantité équivalente à celle d'une coupe et le mordre ensuite.

Puis le tuer. Il savait que Van en reviendrait, mais il ne pouvait s'empêcher d'appréhender.

Après avoir présenté leurs convocations et décliné leurs identités, les deux invités furent introduits dans la majestueuse demeure royale. Ils furent guidés par un domestique dans des corridors hauts comme des cathédrales, amples et sur-éclairés, où les boiseries minutieusement sculptées rivalisaient avec les dorures des tentures, le broquart des rideaux, le chatoiement des lustres et la finesse des sculptures. Ils ne savaient plus où donner de la tête tant il y avait de détails à voir et de beauté à admirer. Le premier couloir menait à un hall circulaire à partir duquel les corridors rayonnaient comme autour du moyeu d'une roue. Tous les embranchements étaient gardés et des invités de prestige déambulaient de façon sporadique dans les lieux silencieux. Leur guide s'arrêta finalement devant une porte à double battant d'environ cinq mètres, close et ornementée. Il les invita à patienter. Pour un rituel de transformation comme celui-ci, seuls étaient présents les concernés, un représentant du Haut Conseil et les membres de l'Allégeance en charge. Après environs dix minutes, les gigantesque battants s'ouvrirent en produisant un ronronnement sinistre.

— Le Seigneur Kadvael Solvmorläs de Larkmîr et le futur membre sont invités à entrer, énonça un vampire en se présentant sur le seuil.

Van déglutit puis pénétra l'immense salle rituelle, suivi de près par Kadvael. Les lourds battants claquèrent un son fatidique dans leur dos, fouettant l'air qui s'échoua sur leurs omoplates. C'était une pièce toute en longueur, semblable à la nef d'une cathédrale, dont l'allée centrale en marbre Salomé rouge s'échouait sur un demi-cercle où siégeait un trône. Sous les voûtes sexpartites et le long des murs où grimpaient les demi-colonnes, se trouvaient treize silhouettes encapuchonnées. Vêtues de longues capes en soie noire et or, six à droite et sept à gauche, alignées de part et d'autre du trône, lui-même situé en hauteur, au bout d'un escalier droit. La Reine était assise là, dans le fauteuil titanesque aux couleurs du deuil, cette femme à la beauté divine qui les dardait d'un regard émeraude.

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