Chapitre 44 : Tristesse aléatoire

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Dimanche 22 décembre – Sproul State Forest –Domaine Larkmîr

Van sortit du sommeil plus alourdi que jamais. Il se réveilla seul dans l'immense chambre du Maître Solvmorläs et contempla d'un œil désabusé le feu qui brûlait au creux de l'âtre. Il avait été entretenu. Jusqu'au bout, l'assassin de ses parents s'était montré prévenant, presque angélique. Habité d'une sensation déroutante de vide, il demeura assis de longues minutes à observer la pièce. C'était étrange d'y être sans Kadvael, il la trouva sinistre et cafardeuse. Une intense solitude lui remonta dans le corps et Van se sentit triste. Mais ce n'était pas l'une de ces tristesses aléatoires, l'une de celles que l'on peut laisser resurgir pour faire suinter les vieilles blessures. Ce n'était pas ce vindicatif coup des larmes qui secoue le corps, carabine la poitrine et fait sortir la douleur à grands renforts de trémulations bruyantes.

C'était un silence.

Une idée fixe.

Devant lui, il n'y avait plus que ça. Mur noir. La vie se dessinait tel un tableau d'ombres où on le faisait danser comme une feuille morte. Et c'était ce qu'elle était, en lui, pour lui, « morte ».

Sans larmes, sans cris.

C'était un bourdonnement perpétuel qui grésillait sur la réalité, une absence entre les murs en pierres grises. Un peu comme lui qui se sentait déserté. Et d'ailleurs, ce n'était plus vraiment lui. Il était un souvenir, celui d'un horizon manqué, celui d'une douceur perdue. Il était un fantôme, celui d'un après-midi au soleil, d'un groupe de gosses libres, un rire de lui qui n'était plus lui. C'était la résignation. La nouvelle version du monde sous le tapis de ses yeux aveugles.

Non. Ce n'était pas l'une de ces tristesses aléatoires qui pouvaient soulager. Celle-ci était vaine, sans but, elle était sa vérité. Celle qui disait que tout est perdu, celle qui conjuguait au passé. Dans le présent, c'était le désert des sens, l'absence. Juste un antre où chuter et où il s'habituait à chuter. Ce n'était plus important.

Quoi ?

Tout.

Il n'était plus vraiment là. Et d'ailleurs, il ne savait plus qui il était. C'était un chagrin en gris et noir, avec deux yeux secs et des fous rires. Des rires de fou, provoquants et désespérés. Ce n'était pas l'une de ces tristesses aléatoires, qu'il traversait. C'était l'un de ces néants qu'il ne finissait jamais de traverser.

Mais voilà, c'était la réalité maintenant.

Foutu pour foutu. Le moment où toutes les options avaient été épuisées, où les options l'avaient épuisé. Il avait cru qu'il avait le choix, qu'il aurait perdu uniquement quand il aurait décidé d'arrêter de se battre, mais il n'avait plus la force de décider. C'était quand d'un mal pour un bien, venait le mal pour le mal. Quand plus aucune goutte ne pouvait faire déborder le vase. Il n'y avait même plus de vase, en vérité. Non.

Ce n'était pas l'une de ces tristesses aléatoires, c'était l'une de ces souffrances abandonné des chimères. Il n'y avait plus de doute. Il n'y avait plus de « il n'y avait plus », comme s'il n'y avait jamais eu. Parce qu'il n'arrivait plus à se souvenir de comment c'était, quand il y avait encore quelque chose.

— Van ?

Arraché aux affres de son agonie interne, Van leva les yeux de ses mains et vit Kadvael, debout dans l'encadrement de la porte. Un chagrin intense souffla en lui quand il approcha. Le Maître Vampire déposa une boîte sur la table de chevet et s'assit sur le bord du lit.

— Je suis trop près ? questionna-t-il.

Van haussa les épaules. Son mutisme fendit le cœur du Maître Solvmorläs, qui ravala sa peine.

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