Chapitre 12 : Krampus

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Nuit du lundi 9 au mardi 10 décembre 2029 – Sproul State Forest

Kadvael avait accepté d'accompagner Éléonore faire le tour des boutiques d'elixirologie du coin, dans un périmètre de vingt kilomètres. Malheureusement pour eux, aucun apothicaire n'était en mesure de leur vendre de la bave de krampus. Le dernier commerçant chez qui ils se rendirent leur annonça qu'il y avait une rupture de stock sur tout le territoire et qu'il le savait de source sûre, puisqu'il l'avait vu le matin même dans sa boule de cristal.

— C'est le mois des krampus, leur dit-il, c'est la période de réapprovisionnement pour les démoniers. On devrait avoir le stock pour l'année d'ici la fin du mois.

Attendre encore trois semaines n'était pas envisageable pour Kadvael, qui ne désirait rien de moins que de démasquer le traitre caché parmi ses domestiques. Éléonore n'était pas du genre à s'apitoyer et, lorsqu'elle avait une idée en tête, elle mettait tout en œuvre pour la réaliser. Il était à peine dix-neuf heures et les commerces n'allaient plus tarder à fermer. Elle décida qu'ils iraient trouver un krampus eux-mêmes et entraina Kadvael dans une escapade en pleine nature, de nuit, au cœur de la Sproul State Forest.

— Tu es sûre de toi ? lui demanda le Maître Vampire pour la troisième fois consécutive.

Autour d'eux, la forêt plongée dans l'obscurité présentait un aspect lugubre et sépulcral, la nuit donnait aux frondaisons touffues des allures d'ombres recroquevillées. Une odeur d'humus et de pluie froide flottait dans l'air, Éléonore éclairait les parages avec son petit doigt, au bout duquel elle avait allumé une flamme.

— Je ne suis pas sûre que nous en trouvions un, répondit-elle, avec un enfant ça aurait été plus simple, comme ils les mangent.

Kadvael s'arrêta net.

— Tu avais prévu de sacrifier un enfant ?

— Non, bien sûr que non, je ne suis pas folle. (Elle se tourna vers lui.) Mais on aurait pu les attirer.

Soudain, l'ouïe fine du Maître Vampire capta un son étranger aux sonorités de la nature. Ce n'était pas le bruissement des feuilles, ni le craquement des branches, ni le hululement d'une chouette, c'était un bruit de chaînes. Un cliquetis régulier qui semblait accompagner un lent cheminement. Éléonore allait parler, mais Kadvael lui fit signe de se taire et d'éteindre sa flamme. Ils demeurèrent quelques secondes complètement silencieux, lui tendait l'oreille et elle, incapable d'entendre autre chose que la complainte du vent, attendait. Quand Kadvael fut certain d'avoir bien localisé le bruit, il fit signe à Éléonore de le suivre. Tous deux avancèrent un temps dans l'obscurité nébuleuse, à la pâle lueur des étoiles. Comme il pouvait voir, Kadvael guidait Éléonore afin qu'elle ne trébuche pas. Bientôt, la mage put elle aussi percevoir le son des chaînes et devina au loin, entre les troncs des arbres, la silhouette titanesque d'une créature cornue.

Un krampus.

Il devait bien faire dans les trois mètres de haut, était large et couvert d'un long pelage noir. Ses sabots heurtaient lourdement le sol et il tenait entre ses serres griffues des chaînes qui traînaient dans la terre. Ses cornes monumentales et recourbées lui conféraient une aura spectaculaire. Un frisson de peur courut le long de l'échine des deux témoins, dissimulés dans les fourrés. Éléonore bougea légèrement le pied, un craquement sec retentit et le krampus s'immobilisa.

Lentement, il tourna la tête vers eux, dévoilant un visage gris et anguleux qui terminait sur une gueule de bête. Ses arcades sourcilières étaient proéminentes, ses petits yeux blancs, luisants d'une intelligence malsaine, s'y enfonçaient comme dans deux puits.

— Il est magnifique, souffla Eléonore.

Le krampus se tourna complètement vers eux, irradiant de chaleur et d'une odeur de chien mouillé.

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