Chapitre 45 : Un drame Shakespearien

282 60 64
                                    


Lundi 23 décembre – Sproul State Forest –Domaine Larkmîr

Appuyé contre le montant du lit avec deux oreillers dans le dos, Van observait les photos remises par Kadvael. Elles étaient éparpillées dans les draps, autour de son corps vêtu d'un simple short de pyjama et d'un t-shirt près du corps. Dépeigné, avec ses bandages et son pansement sur le nez, Van offrait un tableau digne d'une peinture romantique. Il s'était beaucoup attardé sur les photos de ses parents, mais également sur celles de Kadvael et de Sun. Ils semblaient heureux, très amoureux et cette idée lui comprimait le cœur. Son roi était différent lorsqu'il était humain, car son apparence était plus imparfaite. Pas de teint d'albâtre, mais une peau de pêche légèrement rougissante, plus d'yeux écarlates mais deux iris noisette. Kadvael n'avait pas toujours eu l'aspect d'un dieu, il devait cette sublimité à sa nature de vampire cependant, il était évident qu'il avait toujours été beau. En somme, Van avait eu le sentiment de s'immiscer dans la vie d'un autre. Keith et Catherine étaient des inconnus pour son cœur. Il avait passé sa nuit à feuilleter les photos, péricliter dans les draps et déambuler dans les appartements vides. La servante du début de soirée était repassée pour lui déposer un repas auquel il n'avait pas touché. Celui-là n'avait pas été préparé par Kadvael. Où était-il ? Est-ce qu'il allait bien ? Est-ce qu'il était « bourré » ? Van mourrait d'envie d'aller le voir.

Couché sur le côté dans le grand lit deux places, il observait le montant du baldaquin d'un œil désabusé. Sa main droite fouilla à tâtons près de lui et saisit une photo au hasard. Celle-ci représentait le groupe au complet assis à une table ronde où le couvert avait été mis. Catherine et Keith s'étaient rapprochés l'un de l'autre, à gauche et s'enlaçaient en souriant à l'objectif. À droite se trouvait Sun, en robe de mariée, qui poussait un cri de joie en levant les mains vers le ciel. Assis près d'elle, Kadvael riait tout en la couvant d'un regard amoureux. Avait-il seulement remarqué le photographe ? Il paraissait subjugué par son épouse, comme si le monde autour de lui avait cessé d'exister. Cette photo, Van l'avait beaucoup observée. Il enviait cette femme au sourire angélique, il la jalousait, même. C'était donc pour elle que Kadvael avait assassiné ses parents ? Au moment où l'amertume commença à le gagner, son regard se porta sur l'arrière-plan, où une salle des fêtes s'étendait jusqu'à la limite de la photo. Parmi la foule d'invités, un visage capta son attention. C'était un petit garçon aux traits doux et aux cheveux blonds, qui devait avoir dix ou douze ans. Van plissa le regard, perturbé. Pourquoi avait-il l'impression de l'avoir déjà vu quelque part ? Il l'observa encore et laissa sa tête retomber dans l'oreiller. Réfléchis Van. À qui lui faisait-il penser ? Soudain, un visage se présenta comme une évidence et il écarquilla une expression choquée.

Alassane.

Van rapprocha la photo et scruta le petit garçon de longues secondes. Oui, ça lui ressemblait énormément. Kadvael n'avait jamais parlé de lui comme d'une connaissance de longue date, il l'avait présenté comme le nouvel amant d'Hortense. Était-ce normal ? Était-ce une preuve de quelque chose ? Il se leva lentement du lit, le cœur battant ses côtes. Ne devait-il pas lui en parler ? Ou au moins lui poser la question ? C'était énigmatique. Et ça lui faisait une raison d'aller le voir. Il voulait le voir. Il n'en pouvait plus d'être laissé seul avec ses démons, avec Anna, livide et inerte, qui s'imprimait jusque dans les motifs de la couverture. Le jeune homme enfila un pantalon par-dessus son short, ainsi qu'une paire de converses que Kadvael lui avait offerte. Une réminiscence de cette soirée lui passa dans l'âme, soulevant sa mélancolie. Il revit son roi lever les yeux au ciel devant la cabine d'essayage, appuyé contre le mur en croisant les bras.

— Si tu les veux prends-les, disait-il.

— Mon Suggar Daddy me gatte ! Je suis la salope la plus chanceuse du coin.

AssujettiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant