(Intermède)Le récit d'Arkivas : Rencontre

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Je n'avais pas prévu de mordre Aurora. Pour être honnête, je n'avais pas non plus prévu de la rencontrer. Elle aurait dû mourir, comme tous les Humains qui avaient croisé mon chemin. Souvent, je me demande ce qui aurait pu se passer si je ne l'avais pas remarquée ce jour-là et si j'avais mené mon attaque jusqu'au bout. Le destin se joue à si peu de choses...

Mon précédent échec était trop récent, trop douloureux et j'avais décidé de me consacrer à de nouveaux projets le temps de me remettre de la perte de Maud. J'étais à la fois triste et furieux, et je commençais à perdre espoir. Jamais je ne me trouverais une compagne digne de perpétuer la lignée de Morwenn... Jamais je ne trouverais d'Humaine digne de ma morsure. Et puis Aurora est venue bouleverser ma vie, de la façon la plus imprévisible possible.

La première fois que je l'ai vue, ma fascination fut telle que je crus que je ne pourrais plus jamais détourner le regard d'elle. Le souvenir de cette rencontre restera gravé dans ma mémoire et je le chérirai jusqu'à ma mort. Encore aujourd'hui, lorsque je ferme les yeux, je revois chaque détail, chaque geste, chaque regard.

L'après-midi touchait à sa fin et, sous l'acidité de l'argent des armes des Protecteurs, le vent d'été promenait un air chaud aux senteurs de sève et de plantes. Bientôt il allait charrier une odeur de sang et de mort. Dissimulés à la lisière de la forêt de Borlia, mes Loups attendaient mon signal. Une cinquantaine de mètres à peine –occupés par un vaste champ en labour- nous séparaient de la route en contrebas. Les Protecteurs venaient d'établir leur campement au pied d'une haute tour de guet en pierre. 

Sa présence rassurante était sans doute la raison pour laquelle ils avaient décidé de s'arrêter aussi tôt dans la journée, au lieu de continuer leur voyage. Ils progressaient sur la route de Corlande et la cité humaine était encore à deux jours de cheval. À cette époque, j'ignorais tout de la famille de Trémel. Je n'avais pas encore eu l'honneur de rencontrer le jeune Général Sylvène. Je ne le connaissais que de réputation et, heureusement pour lui, je ne savais pas que c'était lui qui commandait ce détachement. Si j'avais su...

Ce jour-là, je souhaitais faire un exemple. Je cherchais à forger depuis quelques mois de nouvelles alliances avec d'autres clans de la région. Les dominants se montraient méfiants à mon égard : ils ne me connaissaient pas et refusaient de me suivre dans ma quête de pouvoir. J'avais alors décidé de leur montrer de quoi j'étais capable. Le groupe de soldats que j'avais repéré voyageait depuis plusieurs jours. 

Deux nuits auparavant, en repoussant l'attaque d'une ferme isolée, ils avaient impitoyablement massacré une dizaine de Créatures placées sous mes ordres. Je tenais là l'occasion de montrer aux chefs de clans que je ne laisserais pas un tel crime impuni et je rêvais déjà du moment où j'allais brandir la tête du commandant des Protecteurs au bout de mes griffes. Ma meute était prête, rendue excitée et impatiente par la promesse du sang à venir.

Il y avait devant nous un détachement de soixante soldats. Une dizaine de marchands les accompagnaient avec leurs chariots et quelques animaux. En plus des guetteurs dans la tour, des sentinelles montaient la garde autour du campement dressé derrière la route pavée. Les chariots avaient été placés de notre côté, entre le champ et la chaussée, de manière à servir de barrage en cas d'attaque. Chaque Humain était lourdement armé, prêt à se défendre à la moindre alerte. Un Protecteur en particulier attira très vite mon attention. 

Il marchait d'un pas rapide, les mains dans le dos, surveillant les soldats, veillant à la bonne installation du camp et contrôlant chaque détail d'un regard froid et inquisiteur. Il respirait le calme et la confiance en soi. De temps à autre, ses yeux sombres remontaient jusqu'à la lisière de la forêt, comme s'il espérait nous voir. Cet Humain m'intriguait : je ne connaissais pas le blason qui ornait son uniforme. Il semblait encore très jeune, pourtant sa posture était déjà celle d'un dominant : les autres s'écartaient avec respect sur son passage et exécutaient ses ordres sans discuter. Je compris très vite que c'était lui ma cible : c'était sa tête que j'offrirais aux chefs de clans.

AMBRÛME : Le sang des TrémelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant