Chapitre 20 : Les blessures d'une Louve PARTIE 2

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Quand le Hautseigneur Ménéagan de Barallac avait frappé en personne à la porte de leur maison de bon matin, Sylvène avait tout de suite compris. Étrangement, il ne s'était pas effondré. Il n'avait pas non plus pleuré. Il avait regardé les larmes de sa mère et de sa sœur, entendu leurs cris, mais il avait été incapable de réagir, comme tétanisé. Son chagrin à lui, le jeune homme n'avait pas su l'exprimer. Pourtant, une boule de douleur et de tristesse, bien présente, lui broyait les entrailles. 

Son père ne reviendrait pas. Le Général était tombé. C'était donc à lui, son fils, de protéger sa mère enceinte et sa sœur comme il le lui avait promis. Il ne pouvait plus se montrer faible : sa famille comptait sur lui ! Huit ans plus tard, quand un de ses lieutenants était venu le trouver pour lui annoncer qu'Aurora avait été mordue durant la Pleine Lune, Sylvène avait réagi d'une toute autre manière. Un feu de colère et de rage l'avait submergé et il avait crié, injurié les anciens dieux, cette fois incapable de lutter contre ses émotions, refusant d'admettre l'inacceptable. 

Tandis qu'il hurlait son désir de retrouver le Loup qui avait osé s'en prendre à sa famille, quatre soldats avaient été nécessaires pour le maîtriser et l'empêcher de sortir de la ville. Il n'avait pas réussi à tenir la promesse qu'il avait faite à son père des années auparavant. Il avait échoué.

À présent que Sylvène errait autour du campement, tentant d'accepter, d'apprivoiser ce que Meryl venait de lui annoncer, ces deux souvenirs revenaient en force dans son esprit. Il avait envie de hurler, mais s'en sentait incapable. Il aurait voulu pleurer, mais les larmes refusaient de se montrer. Il se sentait à la fois faible et diminué, et en même temps il aurait souhaité se révolter contre la terre entière.

Tout ce en quoi il avait cru depuis qu'il avait banni Aurora, tout ce à quoi il s'était raccroché pour justifier son comportement, tout ce qu'il avait fait pour épargner sa sœur malgré ses croyances et son serment de Protecteur, tout venait de voler en éclats, balayé par les révélations de Meryl. Il aurait donné n'importe quoi pour pouvoir grimper sur un cheval et le faire galoper, droit devant lui, jusqu'à épuisement, juste pour oublier un instant le poids de sa culpabilité. Il avait l'impression d'étouffer ! C'était un sentiment atroce, insupportable.

Quand Aurora s'était fait mordre par un Loup-garou, Sylvène avait passé des jours et des nuits à la veiller, se relayant avec leur mère. Acceptant cette épreuve comme une punition pour ne pas avoir su la protéger, le Général avait tenu sa main brûlante de fièvre tandis que le venin de Loup-garou se répandait dans son organisme, tentant d'apaiser sa douleur, s'obligeant à rester stoïque malgré ses hurlements de moins en moins humains. Après une semaine, il était clairement apparu qu'Aurora allait survivre à sa morsure : elle allait se transformer. Et Sylvène avait compris qu'il serait incapable d'accomplir son devoir.

En tant que Général de la cité, il savait pertinemment que c'était à lui d'achever les blessés de la Pleine Lune, à l'aube du vingtième jour, si ceux-ci étaient encore en vie. C'était une loi que le roi avait promulgué quinze ans plus tôt. Celle-ci permettait aux civils de ne pas avoir à tuer des membres de leur propre famille, car régulièrement certains d'entre eux étaient incapables d'achever leurs proches et les villes se retrouvaient à traquer des Loups-garous ou des Vampires nouveaux-nés dans leurs murs. Les Généraux étaient donc devenus des bourreaux pour le bien des populations. 

Sylvène n'avait pas eu le droit de se dérober : il devait se montrer exemplaire. Toute la ville savait que sa sœur avait été mordue ! Le Hautseigneur Ménéagan de Barallac l'avait convoqué, pour lui montrer sa compassion et sa sympathie, mais également pour s'assurer qu'il ne flancherait pas. La cité d'Aurore avait besoin d'unité et de cohésion pour survivre dans l'âge sombre, et le Général avait prié des jours durant pour que sa sœur succombe à sa morsure. Il ne pouvait supporter l'idée de devoir lui faire du mal. Il s'était cru lâche à l'époque : préférant la voir devenir une bête immonde plutôt que de l'achever de sa main. Il allait lui laisser une chance de vivre, mais en la condamnant à devenir ce qu'elle avait toujours si ardemment chassé. 

AMBRÛME : Le sang des TrémelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant