(Intermède) Le récit d'Arkivas : Morsure

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Mordre durant une pleine lune est un exercice périlleux. C'est la nuit la plus dangereuse, celle où l'appel du sang est le plus fort. Notre pouvoir est alors incontrôlable et il nous est très difficile de rester maître de nous-même. Le plus souvent, s'il n'est pas devenu fou avec les premiers rayons de lune, un Loup-garou perd le contrôle en mordant sa victime et ne lui laisse aucune chance de survie. 

Pour réussir à mordre dans le but de transformer un Humain en Loup, il faut être extrêmement vigilant et particulièrement concentré. Notre soif de sang et de violence est si difficile à refréner...

Les premières fois où j'avais tenté de transmettre mon pouvoir à des Humaines, je n'étais pas prêt. Je me souviens du sang qui avait tapissé les murs et des chairs dispersées aux quatre coins de la pièce. Je me souviens des hurlements d'une femme qui s'était débattue comme une forcenée tandis que je commençais à la dévorer vivante. Je me souviens de mes Loups essayant de m'immobiliser puis, perdant le contrôle à leur tour, se joignant au massacre. Il m'avait fallu de nombreuses années avant de dompter suffisamment le pouvoir de Morwenn pour pouvoir mordre. 

Pourtant, à chaque fois que la peau de ma victime se déchirait, que mes crocs s'enfonçaient dans ses chairs et que le sang envahissait ma gueule, j'avais peur d'échouer. Une seconde d'inattention, un détail qui s'imposait à moi et tout était perdu. Pour Aurora, il fallait que je réussisse.

Ce n'était pas la première fois que je décidais de prendre compagne. Je n'avais jamais aimé la solitude. Et le devoir de perpétuer la lignée de Morwenn, conjugué à l'agréable idée d'avoir une présence à mes côtés pour conquérir le trône d'Ambrûme, étaient deux arguments qui se rappelaient régulièrement à mon bon souvenir. Mais il était hors de question que j'offre mon pouvoir à n'importe qui. Durant mes quatre siècles d'existence, les Humaines que j'avais honorées de ma morsure et que j'avais réussi à ne pas tuer durant la pleine lune pouvaient se compter sur les doigts d'une main. À chaque fois, l'échec avait été un peu plus douloureux à vivre.

D'abord il y avait eu Vera, que j'avais épargnée après avoir massacré l'intégralité de son village. Elle avait de très beaux cheveux. Elle n'avait pas survécu aux fièvres et aux douleurs que nos morsures peuvent engendrer. Puis il y avait eu Lyse, presque une enfant –quatorze ou quinze ans pas plus- qui, passé sa transformation, s'était avérée être une Louve trop faible, trop décevante malgré la puissance de Morwenn qui coulait dans ses veines. Moi qui espérais que son jeune âge me permettrait plus facilement d'en faire la compagne dont je rêvais... Après était venue Elynn. Horrifiée à l'idée de devenir une Créature, elle avait réussi à tromper ma vigilance et à se traîner jusqu'à une ville humaine pour s'y faire abattre, peu de temps avant sa première transformation. Et enfin, il y avait eu Maud. Maud avait un vrai potentiel. Elle était devenue une Louve magnifique et apprenait vite. Trop vite. Cela avait été un coup dur pour moi lorsque j'avais été obligé de m'en débarrasser. Avec Aurora, je voulais que tout se passe différemment.

Lors de ma première rencontre avec cette Humaine, il m'avait été très difficile de refréner mon instinct. Si je m'étais écouté, j'aurais lancé l'attaque. J'aurais massacré avec mes Loups le petit groupe de Protecteurs et de marchands et arraché Aurora à sa misérable condition. J'avoue que l'idée m'a effleuré. Au final, cela aurait été la solution la plus simple et la plus rapide. Seules mes expériences passées m'ont empêché de commettre une nouvelle fois cette erreur. Cette fois, je ne voulais pas me précipiter. Mes précédents échecs étaient autant de leçons et il était temps de changer de stratégie. 

Si je voulais qu'Aurora devienne ma compagne, je devais être patient et la faire venir à moi de son plein gré. L'arracher aux siens et tuer son frère sous ses yeux l'auraient fait me haïr et je ne voulais pas que notre relation débute sur un tel sentiment. Avec elle, j'allais réussir là où j'avais échoué avec les autres.

AMBRÛME : Le sang des TrémelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant