Il pleuvait. C'est la première chose que je remarquai quand les soldats nous poussèrent dehors. Cela faisait des jours que j'étais enfermée et je suppose que c'est pour cette raison que cela me parut si important sur le coup.
Ce n'était pas une grosse pluie orageuse qui sentait bon la terre humide, comme nous avions pu en avoir plus tôt dans la saison, ni même une averse. C'était plutôt une petite bruine qui se glissait insidieusement dans les vêtements et vous glaçait jusqu'aux os. Ça m'était égal : j'étais heureuse de sentir sa fraîcheur sur mon visage. Elle me rappelait que, pour le moment, j'étais encore en vie.
Le soleil commençait à peine à éclaircir l'horizon. Il était très tôt et la ville était encore silencieuse : pour les exécutions des Pleines Lunes, les soldats veillaient toujours à garder les condamnés à l'écart des foules de peur d'une rébellion de dernière minute de la part des familles. Quand nous sortîmes dans la cour de la caserne et que nous vîmes la cage sur le chariot qui nous attendait, je sentis la petite main d'Alix se crisper dans la mienne. Je la serrai doucement, espérant lui insuffler un peu de courage, même si je savais que je ne pouvais pas demander à une enfant de douze ans de rester de marbre face à sa mort. Elle était très faible, brûlante de fièvre, et j'espérais de tout mon cœur qu'elle ne se rendait pas compte de ce qui allait arriver.
Six soldats à cheval encadraient le chariot et deux autres attendaient de conduire l'attelage. Leurs uniformes rutilaient sous la pluie. Mal à l'aise, ils évitaient de nous regarder. Escorter les condamnés une fois par mois était une des pires choses que l'on pouvait leur demander. Moi, je ne l'avais jamais fait : je n'étais qu'une Cadette et mon apprentissage n'était pas encore terminé. C'était une mission réservée aux Protecteurs les plus aguerris et les plus solides, mais j'en avais vu plus d'un revenir à la caserne, pâle et nauséeux, ne désirant plus que se saouler pour oublier ce qu'il avait vu. Être obligé d'escorter des femmes, des hommes et des enfants jusqu'à leur lieu d'exécution, après les avoir protégés et avoir tout fait pour leur survie, ne devait pas être une chose très plaisante.
Au fond, je les plaignais.
Un grincement de porte attira mon attention et je vis mon frère sortir du bâtiment juste en face de moi. Même si je savais que je n'avais plus rien à attendre de lui, je faillis l'appeler dans un sanglot. Il ne porta pas les yeux sur moi. Sans un mot, le visage fermé, il enfourcha son cheval et regarda droit devant lui tandis que deux Cadets ouvraient les portes de la cour. Le grand Général Sylvène s'apprêtait donc à mener sa propre sœur à la mort. Parfait.
Les soldats qui nous escortaient nous firent monter dans la cage sur le chariot. Les habitants de la cité ne devaient pas nous voir et celle-ci avait été entièrement bâchée avec de grandes étoffes noires. Le tissu qui recouvrait le haut de la cage était fatigué, déchiré par endroits. Je m'assis aussitôt dans un angle, sous une des ouvertures, pour continuer à pouvoir sentir la pluie sur mon visage. Alix se blottit contre moi et je la laissai faire, incapable de lui refuser ce fugitif sentiment de sécurité.
Le convoi s'ébranla et très vite, aux cahots causés par les pavés sous les roues du chariot, je sentis que nous avions quitté la cour de la caserne et que nous étions dans les rues d'Aurore. Voilà. Ce serait bientôt terminé.
Tandis que ma tête tressautait contre les barreaux de la cage au rythme du voyage, j'essayais de reconstituer le fil des derniers jours dans mon esprit.
Tout était flou et brouillé. J'avais du mal à penser correctement et, très souvent, la douleur me faisait perdre toute lucidité. Je ne me souvenais plus du moment de ma morsure avec exactitude. Des scènes me revenaient parfois en mémoire. Ma tête qui heurtait l'escalier. L'odeur de la poudre. Les cris de ma mère et de ma sœur. Les yeux du Loup-garou. Par moments, quand le brasier qui me dévorait le bras perdait en intensité, je me sentais incroyablement lucide et calme, résignée. Par d'autres, quand la souffrance me faisait me mordre les lèvres jusqu'au sang, la panique m'empêchait de respirer. Alors, quand je fermais les yeux, je revoyais le Loup me mordre. Son regard de braise. Ses crocs s'enfonçant dans ma chair. Puis tout devenait ténèbres et cauchemars et je me mettais à hurler...
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AMBRÛME : Le sang des Trémel
FantasíaÀ Ambrûme, il faut tuer pour ne pas être tué. La guerre entre Humains et Créatures fait rage depuis des siècles et chaque clan, chaque ville, tente désespérément de survivre. Sylvène de Trémel, général Protecteur, a fait don de sa vie pour protéger...