Chapitre 23 : La mélancolie d'un parjure PARTIE 1

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Au fond, je sais que je ne peux pas partir. Les fermiers ont besoin de moi. Depuis la mort de ma tante, je suis la seule à connaître les secrets des plantes et des décoctions ici. Mais parfois, je me demande ce que serait la vie au-delà de nos palissades. Y aurait-il plus de sécurité ? Plus d'espoir ? Je suis fatiguée de vivre dans la peur. J'aimerais connaître autre chose avant de mourir.

                                                                   Méva, guérisseuse


Et ça se prétend Protecteur... Non, mais vous avez vu ça ? Je suis certain que ma grand-mère aurait pu faire mieux sur son lit de mort ! Bande d'imbéciles inconscients ! Serrant de toutes ses forces les rênes de son cheval entre ses doigts, Sylvène regarda passer le commandant et sa clique, ravalant une injure peu raffinée. Le manque de bon sens du gradé l'exaspérait, mais il ne pouvait que bouillir en silence. Depuis quatre jours qu'il voyageait avec les marchands, sa patience était à bout.

Tout avait commencé à Griselis. S'il voulait voyager sur les routes humaines et éviter les Créatures d'Arkivas, Sylvène devait intégrer un convoi de marchands faisant le voyage jusqu'à la ville d'Aerna. Il devait se fondre dans la masse et éviter de se faire remarquer par tous les moyens ! Sylvène avait tout d'abord trouvé étrange de se faire engager aussi facilement comme mercenaire pour la protection d'un convoi alors qu'il était sérieusement blessé. L'intendant chargé du recrutement s'était contenté de vérifier qu'il était capable de tenir une arme de sa main valide avant de lui tendre le registre pour qu'il s'inscrive. Puis Sylvène avait rencontré le commandant Protecteur en charge du convoi. Deux heures après leur départ, son opinion était faite : Johan étant un incompétent.

Âgé d'une quarantaine d'années, l'homme avait pourtant l'apparence d'un soldat aguerri, mais ce n'était qu'une façade qui avait volé en éclats dès que le convoi avait franchi les portes de Griselis. Il n'était pas un meneur d'hommes et il ne connaissait rien des dangers des routes d'Ambrûme. Sylvène le soupçonnait d'avoir passé bien plus de temps en fonction dans les casernes de la ville plutôt que sur le terrain et une conversation surprise autour d'un feu de camp le premier soir lui avait donné raison. 

Jusqu'ici, le commandant Johan avait surtout occupé des charges administratives chez les Protecteurs, s'occupant de gérer les stocks d'armes ou les réserves de provisions. Un récent décès chez un gradé lui avait fait prendre temporairement la tête d'un détachement de soldats pour sécuriser les routes.

Or, Sylvène était bien placé pour le savoir, protéger des convois de civils à l'extérieur des remparts n'avait rien à voir avec la gestion d'une caserne à l'abri des murs d'une cité ! Johan avait la responsabilité de trente Protecteurs -vingt soldats aguerris et dix Cadets- ainsi que d'une soixantaine de civils et de trente chariots. Six mercenaires avaient également été engagés en complément d'escorte pour le trajet entre Griselis et Aerna. Le convoi aurait simplement pu être protégé par des fermiers armés de fourches : cela n'aurait rien changé ! 

Sylvène aurait donné beaucoup pour se retrouver face aux généraux qui avaient décidé de la nomination de Johan. Même s'il savait que de nombreux commandants n'étaient pas formés à protéger les civils sur les routes et que les Hautseigneurs préféraient bien souvent s'occuper de la protection de leurs propres villes plutôt que de celle des voyageurs, constater de telles pratiques le révoltait.

Le froid incitait les soldats à rester autour des feux de camp pour monter la garde plutôt que de patrouiller autour des chariots pour garantir la sécurité du convoi. Johan ne se déplaçait jamais sans être entouré de quatre ou cinq Protecteurs et c'est à peine s'il osait s'éloigner de quelques mètres des autres pour aller se soulager. Sylvène s'inquiétait particulièrement pour les Cadets dont c'était le premier voyage et à qui leur commandant offrait une bien piètre image des Protecteurs. Au lieu de faire avancer les civils de manière groupée, Johan les laissait s'étaler et prendre de la distance les uns par rapport aux autres. Par moments, plus de trente mètres séparaient chaque chariot. Le convoi s'étalait en une longue file sur la route et avançait bien plus lentement que de coutume. 

AMBRÛME : Le sang des TrémelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant