Un vrai dur à cuire

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Les jours suivants je ne croise plus l'objet de ma convoitise. Je ne sais pas si c'est dû à une volonté de sa part, ou de celle de son mari, ou simplement à nos emplois du temps respectifs. Il faut dire que j'ai été pas mal occupé à apprendre le métier de caïd ! J'avais déjà une bonne idée de la façon dont les membres de gang occupaient leurs journées, mais le vivre est sans aucun doute différent, et franchement compliqué pour moi. Je suis encore endolori mais mon corps se remet bien et rapidement de mon passage à tabac. Il n'y a plus que les doigts qui me font souffrir et que je laisse bander pour éviter que la chair à vif entre en contact avec quoi que ce soit. J'ai commencé par participer au racket organisé par Gor dans 2 quartiers nord de la ville, autour du QG. Cela consiste simplement à passer récupérer un paquet d'argent chez tous les commerçants, sorte de taxe pour qu'ils puissent exercer en paix, et sauvegarder la vie de leur famille. Ces vols sont tellement bien rodés depuis le temps que plus personne ne se rebelle. Avec Rick, on entrait simplement, Rick me présentait en disant que désormais il fallait qu'ils se souviennent de moi parce que je serai amené à faire le ramassage parfois, et ensuite on repartait avec une liasse, plus ou moins épaisse selon les endroits. Rick ne déconnait pas en disant que la journée serait florissante. Au jugé, j'estime qu'on a récolté entre 200 000 et 250 000 dollars ! Et chaque mois les Gorilles passent. C'est un impôt sacrément rentable sachant que l'organisation n'offre rien en retour si ce n'est un pacte de non-agression ! Il ne manquerait plus qu'ils s'en prennent à leurs vaches à lait ! Ou à flouze plutôt ! Je suis écœuré de ce vol organisé.

Le lendemain, Gor me demande d'aller filer un coup de main et d'apprendre avec deux types que je n'ai jamais vu, Zach et Cody (je n'ai pas demandé d'où il tire son inspiration pour tous ces surnoms). On me bande les yeux, merci pour la confiance, puis je me retrouve dans une petite salle sans fenêtre, avec des machines à compter les billets, des sacs de blé en vrac, et du matos pour les conditionner en liasses. Ok, donc aujourd'hui je fais de la compta ! Zach et Cody, qui sont pas du genre bavard, me laissent seulement mettre les bracelets autour des liasses qu'ils constituent une fois les billets recrachés par leur compteuse, puis je les range méthodiquement pour optimiser la place. C'est du genre très fastidieux comme boulot, chaque minute dure une plombe. On fait une pause de 30 minutes pour déjeuner (Zach ou Cody, je ne sais pas, part et nous ramène des sandwichs et des chips, génial je ne fais que manger sur le pouce avec les gangsters !) et on recommence. Les Gorilles brassent vraiment un max d'oseille, je suis curieux de savoir comment ils blanchissent tout ça. Mais je ferme ma gueule, les deux avec moi ne vont sûrement pas s'épancher et ils sont déjà assez suspicieux à épier chacun de mes gestes pour que je ne pose pas de question. Ils pensent vraiment que je fais leur tirer du fric sous leur nez. On termine de tout compter et de tout ranger dans des caisses de vin français tard dans l'après-midi. Est-ce que le blanchiment est lié à un vignoble ou un grossiste en vin ? Peut-être mais ce n'est qu'une supposition. Ils ne me laissent pas voir le livre de compte qu'ils ont rempli mais j'ai compté environ 7 millions ! Aucune idée des recettes de quoi on parle, est-ce que c'est de l'argent de la drogue, du racket, les 2 ou encore autre chose ? Je ne sais pas non plus s'il y a souvent une telle somme, ni la fréquence du comptage, mais ça fait beaucoup.

Deux jours plus tard je traîne avec Ernie et Fox, au plus grand désespoir de ce dernier, dans les rues de Sacramento. Notre rôle ? Regarder tout le monde d'un air mauvais, faire déguerpir les mecs qui se la jouent ou qui essayent de dealer sur le territoire du gang. Heureusement pour moi, la journée est calme et la conversation d'Ernie pas aussi inintéressante que celle de Fox. Le temps passe donc relativement vite, et je n'ai pas eu à me battre ou à intimider qui que ce soit. Je fais une séance de sport puis de musculation de retour au QG. Faut bien que je m'intègre, et depuis le début à part la bière de bienvenue, où j'étais plus que mal à l'aise sous les regards et messe basses des autres, je n'ai pas pris la peine de discuter avec quelqu'un d'autre que les coéquipiers imposés par Gor. Et puis merde, autant profiter des avantages de cette mission, et la salle de sport en est clairement une. Après deux bonnes heures d'exercices je suis cuit, couvert de sueur et j'ai évacué toutes mes tensions. Je me sens vidé et sain, comme si mon corps avait expulsé toute cette merde qui circule entre ces murs. Je me sens de nouveau moi-même et ça fait du bien ! Je m'essuie le visage avec une serviette et m'apprête à rentrer dans mon taudis pour prendre une bonne douche. Enfin une courte douche si je veux avoir de l'eau chaude, faut pas trop en demander non plus. Je récupère ma veste et mon portable et sort de la salle, quand je tombe sur Lorena qui se dirige vers les escaliers. Je l'intercepte voyant que nous sommes seuls.

" Hey, salut toi, ça va ?

Mon ton est enjoué, je n'ai rien fait de trop répréhensible, aux yeux de la loi et de ma morale personnelle aujourd'hui, et la voir comble cette journée. Elle en revanche est sur la réserve, elle lève les yeux vers la gauche pour me faire regarder quelque chose en hauteur derrière elle avant de répondre

- Oh, salut le nouveau. Je vais rejoindre mon mari.

Mon mari ? C'est la première fois que j'entends dans sa bouche ce mot, je croyais qu'elle refusait de le dire. Je regarde derrière elle et voit la caméra de surveillance. Mais quel bleu, je me foutrais des baffes ! Évidemment tout est espionné, elle m'avait prévenu quand on s'est vu derrière le bâtiment. Ici Gor, c'est big brother !

- Bonne fin de journée alors

- Ouais. »

Je continue alors mon chemin, regagne le hall dans lequel trois gars se disputent violemment. Je contourne la masse qui s'agglutine, attendant que les coups remplacent les mots, et avant même que j'ai atteint la porte extérieure, c'est déjà le cas. Je n'attends pas ni me retourne, je serai capable d'intervenir si je reste.

Une fois chez moi je sors du papier, un stylo, comme ça pas de traçage, et je me mets à rédiger mon rapport. Je note tout dans les moindre détails : l'organisation du gang que j'ai pu commencer à déceler, les différents rôles avec les surnoms et quand je les ai les noms des gars impliqués. Je note également la disposition des lieux du quartier général, son emplacement. Je me doute qu'il doit y avoir un entrepôt pour la drogue ailleurs mais je ne sais pas encore où. Je demande une enquête sur le nom du vin inscrit sur les caisses pleines de billets en expliquant mes doutes. Peut-être l'équipe trouvera un revendeur qui blanchit l'argent des Gorilles. J'inscris également mes impressions sur Gor, la manière dont j'ai été intégré au groupe, ce que j'ai fait ces derniers jours. Je me rends compte que Gor ne m'a pas mêlé à des choses compromettantes pour lui. Certes le racket est illégal, mais il est tellement entré dans les mœurs qu'on pourrait croire que les commerçants donnent volontairement de l'argent à des mecs qui passent sans rien demander, ni menacer ! Compter de l'argent, et se balader en ville en roulant des mécaniques, ce n'est pas non plus un crime fédéral ! Bref, je n'ai que des suppositions, et peu d'éléments pour que mes supérieurs puissent avancer. J'imagine aisément que c'est le plan du boss pour les nouveaux, le temps de voir ce qu'ils valent, et s'ils ne vont pas le trahir. Il faut que je sois patient et surtout prudent, je dois me faire ma place tranquillement, ne pas paraître pressé d'en savoir plus. Demain je demanderai à Gor ce qu'il en est de mon paiement, et si je le sens je lui demanderai de m'envoyer faire mes preuves pour la vente de drogue chez les riches, comme il m'en a parlé. Il faut aussi que je trouve un moyen d'éloigner Lorena de son cinglé d'époux, elle me manque déjà. Notre baiser me manque. Peut-être pourra-t-elle également m'aider à réunir des preuves. Je vais lui parler du meurtre du juge, elle sait peut-être quelque chose qui pourrait m'aider à confondre le ou les assassins. Le courrier achevé, j'appelle mon équipier, Ben Grahams, sur le numéro qu'il a ouvert exprès pour correspondre avec moi. Nous avons décidé qu'il se ferait passé pour un cousin éloigné si jamais quelqu'un le contactait.

" Salut mec ça va, répond-il après la 2ème sonnerie

- Oui ça va. C'est pas évident mais ça va. J'ai un premier colis pour Chaw, tu peux venir le chercher ?

- Ok je pars tout de suite on se rejoint au point de rendez-vous.

- Merci, à tout de suite."

Je raccroche puis regarde par la fenêtre pendant de longues minutes mais je ne vois personne faire le guet devant l'immeuble. Je sors discrètement, remonte la rue avant de checker de nouveau les alentours. Personne. Bien, je continue jusqu'au square Roosevelt, je dépose l'enveloppe dans la poubelle juste à côté des jeux pour enfants, comme convenu. Je ne vois personne autour, je continue mon chemin comme si mon but n'était pas atteint. Je me retourne quelques minutes plus tard et reviens sur mes pas, l'enveloppe n'est plus la et j'aperçois une ombre qui me fait un salut de la main. Je lui rend avant de rentrer chez moi. Il me faut un plan pour parler à Lorena maintenant. J'ai beau me creuser les méninges, je ne trouve rien qui ne soit pas dangereux. Je me résous à attendre la prochaine virée shopping si aucune occasion ne se présente avant. Je m'endors rapidement, d'un sommeil sans rêve.


Sous couvertureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant