Discours d'avant-guerre

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- Que voulais-tu dire hier quand tu disais qu'il s'était débrouillé pour que tu tombes avec lui ? Osais-je lui demander quelques minutes plus tard, alors que ses pleurs se sont taris.

Lorena ouvre la bouche mais n'a pas le temps de répondre que mon téléphone se met à sonner. Je le sors de ma poche et regarde l'écran : Gor !

- Et merde, il faut que je réponde ! m'exclamais-je

- Ne t'en fais pas, me répond Lorena, on en parlera plus tard »

Elle s'éclipse en rentrant dans le bâtiment sans que je puisse la retenir, car il faut que je décroche, même si c'est à regret.

« Putain, t'es où ? Hurle le boss dans le combiné alors que j'appuie sur la touche de réponse après seulement deux tonalités. Tous les gars sont réunis au bar, ramène ton cul immédiatement !

- Oui, j'arrive tout de suite patron ! », je réponds avant d'essayer de m'expliquer mais il a raccroché avant même la fin de ma phrase.

Je ne comprends pas ce qu'il se passe mais m'empresse de retourner à la porte principale, que plus personne ne garde. Même les vigiles doivent être au rassemblement, ça doit être vraiment capital pour que la sécurité ne soit plus une priorité. Je me dépêche de traverser le hall vide et pousse la porte qui jouxte le bar pour rejoindre tout le monde. Je me fige devant l'assemblée qui me tourne le dos, et qui fait face au grand patron, car la foule est impressionnante. Plusieurs têtes se tournent vers moi, l'œil désapprobateur. Gor est debout sur le comptoir en bois, vêtu entièrement de noir, ses manches relevées laissant voir les nombreux tatouages sur ses avant-bras. Les Gorilles sont tous rassemblés debout devant lui, enfin j'imagine qu'ils sont tous présents puisqu'il doit y avoir plus de 60 gars, et même les femmes sont présentes, au fond de la pièce, dans le recoin à ma droite. Je ne pensais pas que l'organisation comptait autant de membres.

Gor me jette un regard noir, puis balaie la pièce du regard, observant d'éventuels autres retardataires ou absents. Je me fraye un chemin pour arriver près de Rick et Fox qui sont au centre de la pièce, Lorena arrive quelques secondes après moi, et rejoint précipitamment les autres femmes, sous le regard inquisiteur et meurtrier de son mari. À cet instant, je me dis que nous sommes vraiment mal barrés. Notre retard, même si nous sommes arrivés par des endroits différents, Lorena depuis l'escalier qui vient des étages, et moi depuis le hall, n'est clairement pas passé inaperçu. Il existe un réel risque d'être découverts si Gor suspecte que nous étions ensemble au moment où il rassemblait les troupes.

Il ne fait pourtant pas de commentaire pour le moment et après Lorena, plus personne ne vient se faire remarquer par son retard, ce qui renforce encore davantage mon anxiété. Gor commence alors son discours, l'air déterminé, ses pommettes relevées en signe de dégoût, ses cheveux gris pendant salement sur ses épaules, me sortant de mes pensées.

« Les gars, hier soir plusieurs des nôtres ont été arrêtés. Ces ordures de flics ne leur ont laissé aucune chance, ils leur sont tombés dessus alors qu'ils déchargeait une cargaison de notre bateau.

Des grognements de haine se font entendre lorsque Gor évoque la police. J'imite les autres pour ne pas me faire remarquer, et très vite, le son devient assourdissant, me vrillant les tympans. La cadence des coups martelés par les pieds des dizaines d'hommes présents s'ajoutent au bruit. Puis Gor lève le poing et le silence se fait.

- Teddy a reçu une balle dans l'épaule, reprend-il, il est à l'hôpital, sous la surveillance de ces fils de chien. Huit autres membres du gang sont derrière les barreaux, dans l'attente de leur jugement. C'est intolérable, et nous ne laisserons pas la réputation des Gorilles être entachée par une poignée de poulets en costume qui ne se sentent plus pisser car ils ont réussi là où tous avant eux ont échoués : porter un coup aux Gorilles !

Au fur et à mesure, le ton du gangster se fait plus menaçant, sa voix se transforme en cri, et une tension palpable remplit l'air de la salle de testostérone, de sueur masculine, presque animale, de violence de criminels prêts à en découdre.

- Et nous allons leur faire payer cet affront, leur faire regretter d'avoir osé s'en prendre au mauvais gang ! Qui est avec moi ?

Les cris emplissent tout l'espace, déjà exigu de part la foule, me rendant légèrement claustrophobe, et je participe de nouveau au vacarme. Même les femmes au fond de la pièce lèvent le poing à ses mots, hurlant avec autant d'énergie que leurs compagnons présents ou enfermés. Gor arrête de parler pendant pas moins d'une minute de hurlements et piétinements collectifs, temps durant lequel les visages sont déformés par la colère et l'envie de tuer.

- Mes frères, ajoute Gor en parlant plus calmement, une fois une quiétude toute relative revenue, je dois encore régler les détails pour que la libération des nôtres soit prononcée. Tenez-vous prêts à tout moment, car notre vengeance renversera ce commissariat de merde tel un tsunami à l'instant où nous aurons récupérés nos frères manquants. Ils ne se relèveront pas de la justice des Gorilles."

Son ton se fait de nouveau plus haineux à la fin de sa tirade, déclenchant de nouveau un concert de hurlements d'approbation et de bras en l'air, tel un régiment de guerriers se donnant du courage avant un combat décisif.

Gor descend souplement du bar en sautant et rejoint les conversations informelles qui suivent. Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour arriver près de moi alors que je discute avec Rick autour d'une bière.

« Tu penses que ça va péter dans combien de temps ? je demande au balafré

Celui-ci n'a pas le temps de me répondre que le patron m'apostrophe

- Putain, t'étais où ?

- J'étais parti m'acheter à manger, boss, je réponds en servant la même excuse qu'à Diesel. Désolé pour le retard.

Il ne pipe plus mot, repartant avec un air renfrogné vers d'autres gars, récupérant au passage une bière sur le rebord du bar. Je pourrai être soulagé qu'il n'insiste pas mais je sens qu'il a simplement choisi de différer la confrontation pour se concentrer sur fédérer ses troupes autour de sa mission vengeresse. Ce n'est qu'un sursis, un délai qu'il m'accorde, mais je garde le faible espoir que ses préoccupations lui fasse oublier notre retard commun.

- C'est pas le moment de le mettre en rogne, me souffle Rick à l'oreille.

- Je me doute, mais je me suis absenté à peine dix minutes. Gor m'avait seulement demandé d'être joignable, je me suis ramené tout de suite quand il a appelé, tentais-je de me justifier. On ne peut pas être H24 au QG, en tous les cas il ne me l'a jamais demandé.

- Peut-être, répond-il guère convaincu, mais fais profil bas si tu veux mon avis. La patience n'a jamais été son fort, et je le pratique depuis des années. Et le pardon non plus n'est pas son pote, si tu n'avais pas remarqué, ajoute-t-il ironiquement. Il ne réfléchit pas toujours de manière rationnelle, fais attention à ne pas de nouveau le mettre en colère.

- Ouais, je me doute, répondis-je simplement, je vais essayer de suivre ton conseil. Et du coup tu penses que ça va être pour quand cette riposte contre les poulets ? tentais-je de nouveau

- Aucune idée, mais une chose est sûre, répond-il en se grattant sa longue barbe ébène, c'est qu'il va falloir que les choses avancent vite, parce qu'on va pas arriver à être patients avec les mecs au trou. »

Un peu plus tard, alors que je discute des équipements fournis aux polices municipales avec Fox et Ernie, des dizaines de gars encore debout buvant des bières, j'aperçois le boss qui sort du bar. Lorena, sans avoir besoin d'un regard, d'une parole ou d'un geste, lui emboîte le pas la tête basse, quittant ses compagnes de fortune qui restent discuter entre elles, totalement mises à l'écart par leurs homologues masculins. Avant de franchir la double porte battante, la femme que j'aime m'adresse un coup d'œil et un sourire des plus furtifs, dont je n'arrive pas à saisir le sens, mais qui me font froid dans le dos. C'est la dernière fois que je la vois du reste de la semaine, ainsi que de la suivante.

Sous couvertureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant