Réflexions

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Quelques instants plus tard, nous sommes de nouveau habillés, et assis contre le tronc du saule pleureur. Aucun de nous n'a encore brisé le silence. L'après-midi est déjà bien entamée, le soleil a bientôt terminé sa course descendante vers l'ouest. De notre cachette nous ne voyons que les longues tiges vertes de l'arbre qui nous entoure, formant un dôme végétal, et quelques aperçus du parc lorsque le vent fait onduler le feuillage.

« Rupert, tu ne me poses pas de question ? Ose-t-elle dire après un long moment de contemplation

– Je ne sais pas quoi dire, Lorena, commençais-je. J'imagine bien que tu n'as pas commis ce meurtre de ton propre chef, mais cela complique considérablement les choses. Si des preuves existent bel et bien, tu seras jugée pour un crime fédéral et tu avais raison l'autre jour, tu seras probablement condamnée à mort. Cela remet tout en questionnement, les perspectives sont différentes, et je réfléchis à comment mener à bien le démantèlement du gang en te sauvegardant.

– Tu ne me demandes pas les détails ? S'étonne-t-elle. Parce que tu sais, je n'ai jamais croisé cet homme de ma vie. C'est Gor qui l'a assassiné, mais il m'a forcé ensuite à tenir l'arme pour que mes empreintes s'y trouvent.

– Quel enfoiré !

– Peut-être, mais il me tient ainsi. Je dois lui rester loyale si je ne veux pas finir en prison ou recevoir une injection létale, explique-t-elle. C'est comme avec toi, si tu le trahis il te fait tomber pour le meurtre du rouquin, il a la vidéo pour le prouver.

– Mais pour moi c'est différent, contrais-je, je fais partie des forces de l'ordre. J'ai déjà informé mon équipe pour l'assassinat et les circonstances de celui-ci, et même s'il y aura sûrement des conséquences, je ne risque pas la peine maximale, ça j'en suis certain.

Nous discutons encore un moment, tournant en rond sans parvenir à trouver d'échappatoire. J'ai décidé de ne pas parler à Lorena de mon plan de secours la concernant. Pas que je ne lui fasse pas confiance, j'ai largement dépassé ce stade. Je crains plutôt que la méfiance de son mari la mette en danger si elle connaît des données sensibles. Je ne supporterais pas qu'elle souffre pour avoir su trop de choses de ma part. Sans compter que cela risquerait de faire échouer la seule façon que j'ai trouvé pour rendre sa liberté à celle que j'aime.

– Ne t'en fais pas, Rupert, conclut Lorena, il faut que les Gorilles cessent leurs activités, et surtout cessent d'être les rois de Sacramento. La ville doit être rendue à ses habitants, c'est ça le plus important. Je me défendrais comme je le pourrais, et si je suis tout de même reconnue coupable de meurtre d'un juge fédéral, j'en payerai le prix.

– Je n'arrive pas à me résoudre à cela

– Je ne souhaite pas mourir, ni moisir dans une prison haute sécurité, mais arrêter les Gorilles permettra de sauver un nombre incalculable de vies, la mienne est peu de choses dans cette balance.

J'observe sa mine triste et pourtant déterminée. Je vois qu'elle pense chaque mot prononcé, et pourtant à son âge elle ne devrait pas être résignée de la sorte. Elle devrait être insouciante, faire la fête dans des soirées étudiantes, rire, faire ce qu'elle a envie avant d'avoir une vie plus stable et rangée. Et pourtant la voilà portant un fardeau bien trop lourd sur ses épaules : un mariage forcé et maltraitant, traumatisant, une vie vouée à obéir, à avoir peur, et à assister à des crimes odieux, parfois même s'y retrouver mêlée sans pouvoir rien contrôler. Je refuse de laisser cette jeune femme belle et forte, la femme que j'aime infiniment, se sacrifier.

– Je vais trouver une solution, tu verras »

C'est la dernière phrase que je lui dis avant de l'embrasser tendrement et de prendre congé. Il est tard et je dois réfléchir à un plan d'action. Je passe par le même chemin qu'à l'aller pour quitter le domaine. Je ne prends même pas la peine de remettre la caméra de surveillance dans son bon angle. Si la sécurité est à ce point réduite en ce moment, personne n'observe les écrans de contrôle, et personne ne va s'apercevoir d'une légère différence d'angle de vue d'un des dizaines d'objectifs du mur d'enceinte. Ainsi, je pourrai revenir par là quand je le voudrais.

Sous couvertureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant