Test de loyauté

1 1 0
                                    

« Alors, belle gueule, remis de tes émotions ? Me demande Gor quelques heures plus tard, alors que nous sommes seuls dans son bureau.

- Oui, j'avoue que je suis encore un peu chamboulé d'avoir découvert qui était mon père, mais ça va, merci.

Il faut que je me débrouille pour détourner cette conversation, car il ne doit pas découvrir qui était ma mère, sinon ma couverture serait certainement compromise. Hier, personne ne l'a évoquée par son nom, j'ai l'impression que même le père de Gor ne savait pas qui elle était, et c'est tant mieux.

- Si on parlait de la soirée de samedi, continuais-je . Que penses-tu de ce que j'ai ramené ? Tu sais que j'ai déjà eu 2 textos aujourd'hui pour des commandes !

Je feins l'enthousiasme, et le patron semble se laisser prendre au jeu.

- Oui, je dois admettre que c'était un bon plan que j'ai eu, tu t'es bien débrouillé. J'ai bien l'impression que tu n'étais pas au courant pour ton paternel, mais ça ne me suffit pas encore pour te faire confiance à cent pourcents ajoute-t-il.

- Je te le jure, Gor, dis-je en affichant la mine la plus déterminée que je puisse faire, je suis loyal aux Gorilles et à toi.

- Bref, m'interrompt-il, ta part, ajoute-t-il en faisant glisser une enveloppe vers moi. Il y a 1000 dollars. Pour la suite, tu serviras d'intermédiaire avec les clients riches, mais pour ça tu vas devoir changer ton look durablement.

Il me regarde de la tête aux pieds d'un air désapprobateur avant de reprendre.

- Tu vas profiter mercredi en accompagnant ma femme pour t'acheter des fringues classes : chemises, costumes, tenue de golf et je ne sais quelle connerie ! Tu verras avec les vendeurs comment ressembler à ces connards de banquiers, médecins ou avocats chics.

Son ton se fait de plus en plus énervé, et il conclut en secouant ses mains.

- Tu passes par Teddy pour avoir ce que les clients te demandent. Tu vois à l'avance avec le client la quantité, tes points de rendez-vous doivent être variés, et dans les beaux quartiers. Tu touches dix pourcents des recettes. Si jamais tu foires un seul coup je te retire de l'affaire. C'est bon pour toi ?

- Carrément, boss.

- Et maintenant, je vais tester ta loyauté, ajoute-t-il d'un ton lourd de danger. Si tu réussis, je ne me méfierai plus de toi.

Je n'aime pas du tout son attitude, il se passe la main dans ses longs cheveux grisonnants, avec un sourire qui transpire la violence, ses petits yeux vicieux lançant des éclairs. Je sens immédiatement que je ne vais pas aimer ce qui m'attend, mais je fais bonne figure.

- D'accord patron, comme tu veux, mais jusqu'à présent je fais tout ce qu'on me demande sans poser de problème.

- C'est peut-être vrai, me répond-t-il, mais tu es trop lisse, trop parfait. Il faut que tu entres vraiment dans le club des Gorilles, des mecs qui en imposent, des hommes devant qui on baisse les yeux, on change de trottoir, par peur de subir leur courroux.

Sa tirade m'effraye de plus en plus. Mon front se couvre de sueur au fur et à mesure de ses paroles, je tords mes mains nerveusement, ce qui ne lui échappe pas.

- Tu as peur, belle gueule ? Cette fois je ne vais pas abîmer l'extérieur de ta tête. Mais en revanche je vais tester ce qui est à l'intérieur. Tu vas devoir prouver par tes actes que tu es un vrai dur à cuire, un véritable gangster des bas quartiers. On va voir si tu en as dans le pantalon.

- Tu sais Gor, je tente de répondre de manière enjouée, sans trop de succès, car je perçois ma voix moins stable que je le souhaite, je viens d'un milieu merdique, je me suis battu depuis gamin pour survivre et me faire respecter, alors je suis exactement le type que tu veux avec toi.

- C'est ce qu'on va voir...

Et sur cette sombre promesse il soulève le sous main de son bureau et déverrouille le passage secret derrière lui. S'il me restait un mince espoir que ce test serait à ma portée, il s'envole à l'instant où je pénètre dans la salle dans laquelle j'ai été torturé.

Un homme est assis à la place où j'étais il y a quelques semaines. Grand, roux foncé, des yeux bruns apeurés, une barbe sale de plusieurs jours, il semble au bord de l'évanouissement.

- Gor, je t'en supplie, je n'ai rien fait, je te jure que ce n'est pas moi.

Le pauvre bougre se retient avec beaucoup de peine de sangloter. Je vois des traces de sévices physiques, son visage est ensanglanté et de longues et larges estafilades recouvrent ses bras, certainement faites avec une lame quelconque. Son effroi est perceptible et tangible dans toute la salle. Il sait pertinemment que l'homme devant lui est froid, sans cœur ni pitié, mais son instinct le pousse à tout tenter.

- Ferme ta gueule ou je te la fais fermer en brisant ta mâchoire, répond simplement le concerné, sans colère aucune, comme s'il indiquait sa route à un touriste égaré.

Pourtant sa phrase conduit au résultat suivant : l'homme enchaîné referme la bouche sans bruit, son corps tremble, ses épaules tressautent alors que je devine qu'il pleure, la tête baissée. En quelques secondes des larmes coulent, s'écrasant sur le sol de béton. Gor se tourne vers moi et je devine aisément la suite. Je vais devoir torturer ce mec pour le faire parler. Je sais pertinemment que je dois obéir et gagner la confiance du chef de gang, mais tabasser un mec, quel qu'il soit, est totalement contraire à mes valeurs. Je ne pense pas pouvoir y arriver, mais je ne me vois pas abandonner. Refuser signerait probablement mon arrêt de mort, et le gang des Gorilles perdurait tranquillement, gardant en plus Lorena prisonnière. Et cet homme face à moi sera malmené, par moi ou par quelqu'un d'autre.

Je pense à la femme de mes rêves, imaginant le corps de son mari, l'homme qui se tient fièrement à mes côtés, à la place de l'homme assis devant moi. Je laisse la fureur envers ce meurtrier, cet homme qui a pris de force une femme moitié plus jeune qu'elle pour en faire son esclave sexuelle, monter en moi. Je fais le vide dans mon esprit, laissant uniquement cette rage bouillonner. Je garde en mémoire les pires souvenirs de ma vie : la mort de ma mère, voir son dealer sortir du commissariat une heure après y être entré, tomber sur un éducateur forçant une gamine de 13 ans de mon foyer à lui faire une fellation, céder aux gros bras de la maison d'enfants pour protéger les autres des brimades et du racket. Une petite voix au fond de moi me dit que je n'arriverai pas à me remettre de ce que je vais faire, mais je parviens à la faire taire pour l'instant. Je regarde dans les yeux le chef avant de dire la phrase que je redoute

- Je suis prêt, que veux-tu que je fasse ?

Il s'approche à mon oreille et me chuchote son ordre, le sourire aux lèvres. Je me sens mal, j'ai envie de vomir, mais je tiens bon, reste droit et ne dis rien. Je m'éloigne de Gor, me dirige vers la victime, qui redresse la tête. Avant qu'il ne puisse ouvrir la bouche, je dégaine mon arme, retire le cran de sûreté et tire en visant son front. Il s'écroule en arrière sous l'effet du choc, une expression d'effroi gravée sur son visage à tout jamais.

Je viens de tuer un homme qui avait les bras attachés dans le dos, sans même savoir la raison pour laquelle je devais l'abattre. Je suis réellement devenu un Gorille, un meurtrier sans foi ni loi.

Puis Gor finit d'enfoncer la lame au fond de mon cœur en disant

- Je vais garder la vidéo de ce qu'il vient de se passer, au cas où tu ne saurais plus pour qui tu travailles.


Sous couvertureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant