Une amie un peu collante

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Lorsqu'elle sort de la salle de bain, je somnole sur le sofa, ma bouteille vide posée devant moi.

"Allez l'endormi, au dodo ! me dit-elle d'un ton maternant

- Oui, madame, répondis-je dans un sourire.

Je prends tout de même mon courage à deux mains pour passer à la salle de bain prendre une douche et panser mes plaies, me brosser les dents aussi, avant de rejoindre Rachel dans ma chambre, impatient de pouvoir quitter mes pensées pour quelques heures de sommeil.

Pourtant je me sens soudain très réveillé en la voyant couchée dans mon lit, une lueur coquine dans le regard. Même si elle est glissée sous la couette, je devine aisément que, comme à son habitude avec moi, elle ne fait pas preuve de pudeur, et doit donc être très peu vêtue. Ça lui est même arrivé de dormir avec uniquement une culotte sur elle. Je suis pris de gêne lorsque je me rends compte que je vais devoir me déshabiller sous son regard. Habituellement cela ne me pose pas de problème, mais aujourd'hui j'ai la sensation d'être un met particulièrement succulent face à une affamée ! Et je ne veux pas le moins du monde être dévoré, ou du moins pas par ma meilleure amie. Je ne dirai pas non à une autre femme, celle qui est certainement à des milliers de kilomètres maintenant, mais ce n'est pas le moment d'avoir ce type d'envie.

Je tourne le dos à mon amie et enlève rapidement pull et pantalon, ainsi que mes chaussettes, avant de me jeter à ses côtés et de rabattre en vitesse la couette juste sous mon menton. Elle ne fait aucun commentaire alors que j'ai gardé mon tee-shirt, ce qui ne me ressemble guère, et que je dois avoir l'attitude d'un adolescent qui enlève ses fringues pour sa première fois avec une fille. Je ne la regarde pas, me tourne face au mur et éteint le chevet qu'elle devait avoir éclairé quelques minutes auparavant. J'espère ainsi couper court à toute conversion, et bien lui faire comprendre qu'elle n'obtiendra rien de moi cette nuit. À mon grand soulagement je l'entends se glisser davantage sur le matelas, sans chercher à me toucher ou me parler. Rachel a du se rendre à l'évidence : aucun rapprochement n'aura lieu cette nuit.

Alors que je suis si fatigué, le sommeil tarde à venir, tant mes pensées se bousculent. Je regarde mon radio-réveil qui affiche 2h15 du matin. Je soupire en imaginant la fatigue qui va être la mienne durant la prochaine journée si je ne dors pas un minimum cette nuit. Surtout que je vais avoir du boulot par dessus la tête ces prochaines semaines avec le démantèlement des Gorilles qui vient d'avoir lieu. Je vais devoir passer des soirées au bureau, participer à des réunions interminables, mais aussi continuer à aller sur le terrain car nos effectifs ne sont pas extensibles, surtout avec les blessés qui ne vont pas pouvoir reprendre de suite. Certains collègues n'ont pas pris de vacances depuis près d'un an à cause notamment de mon infiltration qui les privait d'un agent de choc. Je sais que je devrai proposer à certains de les remplacer un peu et sacrifier mes week-ends ou mes jours de repos, mais à cet instant, tout ce que je veux, c'est dormir et ne plus me réveiller. Ne plus affronter la vie en sachant que je ne connaîtrais plus le bonheur de serrer dans mes bras la femme que j'aime. Ne plus entendre sa voix, ne plus voir son sourire, ne plus toucher son corps de déesse, tout cela me paraît insurmontable. Et pourtant le sommeil ne vient toujours pas. Je me tourne de nouveau : 2h43. Un nouveau soupir.

Rachel remue aussi de son côté et je m'aperçois à sa respiration qu'elle non plus ne semble pas dormir. Bizarre vu l'heure, à moins qu'elle aussi ne se batte avec ses pensées, quelles qu'elles soient. Alors que je me demande ce qui peut bien là tenir éveillée, elle qui a un sommeil de plomb et qui s'endort facilement d'habitude, je sens des doigts se frayer un chemin sous mon tee-shirt. Ils trouvent l'ourlet inférieur, au niveau de mon caleçon, puis remontent lentement, doucement, comme un effleurement, jusqu'à mon pectoral. Et merde, pensais-je intérieurement, il va falloir montrer les dents pour qu'elle comprenne. Je ne veux pas lui faire de peine, mais les événements récents, et mon état d'esprit m'empêchent de garder cette idée en premier plan, et je cède à une colère complément disproportionnée.

" Ça va pas la tête ! Je hurle en lui écartant fermement la main. Tu peux pas me laisser pioncer en paix.

Elle n'a pas le temps de répondre que j'enchaîne sur un ton plus dur que nécessaire, déversant mon chagrin sous forme de méchanceté pure :

- Je rentre de 8 mois de mission, et alors que je voulais me retrouver enfin tranquille tu squattes devant chez moi, tu t'incrustes pour la nuit et tu viens encore me faire chier ? Qu'est-ce que tu veux de moi à la fin ? Tu veux que je te sautes ? T'as pas été baisée ces derniers temps ? Merde Rachel, si t'es en manque va remuer ton cul dans un night club et t'auras que l'embarras du choix pour t'envoyer en l'air, mais fous-moi la paix !

Je ne la vois pas dans le noir de la nuit mais je devine son visage choqué, et je crois percevoir un léger sanglot qu'elle tente de camoufler. Mais cela ne m'arrête pas pour autant, elle est la, et je me sens mal, j'ai besoin de me vider de cette peine et je prends ma meilleure amie pour encaisser les coups.

- Vas dormir sur le canapé, Rachel, j'ai envie d'être seul !

Je sens qu'elle va répondre alors qu'elle prend une inspiration, mais je la devance

- Tais-toi et casse-toi de ma chambre, sinon je te vire carrément de chez moi ! Même si on est au milieu de la nuit, j'en ai rien à foutre, je te dégage.

Cette fois elle ne parvient pas à réprimer ses pleurs et j'entends distinctement un sanglot alors qu'elle s'extirpe du lit. Elle se dirige à tâtons, se cognant au passage contre mon fauteuil, et elle murmure en ouvrant la porte, assez fort pour que je comprenne

- Prends le temps qu'il te faut, j'attendrai."

Et merde, merde, merde. Je me martèle dans ma tête cette phrase, en ma frappant du plat de la main le front. Le porte s'est refermée et je suis seul dans ma chambre. J'ai envie de hurler mais je me contiens. Alors que je viens de lui crier dessus il y a quelques secondes, je regrette déjà profondément mes paroles. Elle ne mérite pas ça, je le sais. Elle s'est inquiétée pour moi pendant de longs mois, elle est très attachée à moi depuis l'enfance, et sûrement plus que ça apparemment, et moi je l'envoie bouler méchamment, alors que je l'adore et qu'elle m'a manqué. Je culpabilise à mort, et le pire dans tout ça, c'est que finalement ça ne m'a pas du tout soulagé. Désormais je me sens mal à cause de Lorena, et en plus je me sens mal vis-à-vis de Rachel. Quel merdier, comment ma vie a-t-elle pu autant changer avec cette mission ?

Je soupire un bon coup, encore, avant de me ressaisir. Je me calme et tente de remettre mes idées en place. Renonçant définitivement à dormir, je me redresse et m'assieds. J'enlève mon tee-shirt, me trouvant ridicule de l'avoir gardé alors que je dors toujours sans, puis écarte ma couette avant de me lever.

Il faut que je reprenne ma vie en main. Ces derniers mois ont tout changé, mais me morfondre et déverser ma frustration et ma colère sur autrui ne va pas m'aider, bien au contraire. Je suis quelqu'un d'altruiste, de gentil, et faire du mal m'attriste également. Alors que je suis là, dans le noir total, en caleçon, je prends alors une grande décision.


Sous couvertureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant