Sur un coup de tête

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Je dors mal la nuit suivante, avec l'étrange impression que quelque chose de terrible va se passer. Ce sentiment me suit toute la matinée, malgré mes efforts pour me changer les idées. Je n'ai rien de prévu à part une vente de cocaïne à 13h. Maintenant que Teddy est hors course, je m'approvisionne auprès de Daffy Duck, un Gorille sans âge qui a une voix étonnamment proche du personnage de dessin animé. C'est un homme blond très peu loquace, ce qui me convient très bien. Je récupère la marchandise à midi au QG puis rejoint le lieu du rendez-vous, un café tranquille du centre de Sacramento. Je sirote mon expresso en attendant mon client, un homme du nom de Fred que je n'ai jamais vu, et qui doit porter des Snickers rouge pour que je le repère. Le dénommé Fred passe la porte, dont la clochette fixée émet un tintement, moins de cinq minutes après que j'ai commandé. Je termine en une gorgée mon café encore bouillant en grimaçant, laisse un billet sur le comptoir, puis me dirige vers la sortie. Avant de partir, je dépose les sachets contenant en tout vingt grammes de cocaïne, récupère l'argent et passe la porte en faisant tinter la clochette. Tout s'est passé discrètement et sans encombre, comme d'habitude, et je repars avec une liasse de billets de banque dans la poche intérieure de mon cuir.

J'erre tout l'après-midi dans les rues, non loin du bâtiment du gang au cas où on ferait appel à moi. Je profite du soleil qui réchauffe mes mains et mon visage, seules parties exposées car il fait malgré tout encore frais en cette fin de mois de mars. Je marche près de trois heures avant de rejoindre ma voiture, garée au sous-sol du quartier général. N'y tenant plus, n'arrivant pas à m'ôter l'idée que Lorena est en danger, je décide de me rendre chez elle. Au moment de démarrer je suis pris d'un stress supplémentaire. Je sors précipitamment de l'habitacle et grimpe les étages pour vérifier que le grand patron est toujours enfermé dans son bureau. Je trouve le tatoué devant sa porte et avant même que je sois à sa hauteur, celui-ci me congédie :

« Ne veut voir personne »

Je ne prends pas la peine de répondre à cette phrase baragouinée dans sa barbe, et reviens sur mes pas. Je roule à toute allure et parviens rapidement dans le quartier chic de la villa, sur les hauteurs de la ville. Je laisse ma voiture sur un parking public, entre un SUV noir et une voiture familiale bleue sombre, à près d'un kilomètre de ma destination. Je visse une casquette noire des River Cats sur ma tête, une paire de lunettes de soleil sur mes yeux, j'enlève ma montre porte bonheur que je range dans la boite à gants, avant de sortir et verrouiller ma caisse.

Je suis venu sur un coup de tête, mais maintenant que je suis devant le haut mur d'enceinte, je me demande bien ce que je fous ici, et comment je vais entrer. Arriver jusqu'au pied de la maison sans me faire repérer est aisé, mais pénétrer la demeure est une autre affaire, sans compter que je ne connais pas du tout l'intérieur, ni le nombre de gardes ni le système de sécurité. Et nul doute que le paranoïaque chef de gang doit avoir un système au point.

Je me poste derrière l'arbre qui me cachait à la vue des caméras lorsque j'attendais Lorena pour notre rendez-vous. J'attends en silence plusieurs minutes, observant minutieusement les détails. Les deux gardes sont manifestement toujours devant le portail, comme lorsque je suis passé devant eux. Les caméras n'ont pas bougé depuis la dernière fois. Je me demande si la caméra défaillante l'est toujours, mais je ne peux pas me fier à cette hypothèse. Elle a sans nul doute été réparée.

Sans réfléchir davantage, avec l'impression qu'attendre je ne sais quoi ne fait que me priver de temps avec la femme que j'aime, je me hisse souplement le long du lampadaire qui se trouve contre l'angle du mur. De quelques mouvements de bras et de jambes, je me retrouve en une poignée de secondes accroupi sur le pilier. Quelques instants d'observation plus tard, je me déplace latéralement jusqu'à l'objectif le plus proche, qui enregistre le périmètre devant moi, et dont je suis donc masqué. Les caméras sont fixes, ce qui est une grossière erreur pour une fortune telle que Gor doit en posséder. Je pousse délicatement l'appareil vers le haut, me permettant de ne pas être visible lorsque je sauterai dans le parc en contrebas. Je vérifie les autres caméras, aucune n'a le même angle, je jette également un œil aux deux vigiles du portail, qui discutent tranquillement, les visages tournés en direction de la rue. La voie est libre, je décide de passer à l'action et me suspend par les mains au mur avant de me laisser tomber et d'atterrir dans l'herbe parfaitement tondue sans bruit. Je longe le mur sur quelques mètres et atteints un haut massif dans lequel je me fonds pour être caché du reste du monde. Je prends de nouveau un petit moment pour observer ce qui m'entoure. Aucun son suspect, pas de mouvement, rien de notable qui pourrait m'inquiéter. Je poursuis donc mon périple dans le jardin, à demi courbé en avant, en prenant garde à ne pas me trouver dans le champ de la vidéosurveillance. Je suis étonné que les caméras soient essentiellement concentrées sur l'extérieur du périmètre, Gor doit penser qu'il est inutile d'espionner sa vie privée, et que personne ne peut entrer sans être vu. Et bien, il se plante lourdement, comme sur beaucoup d'autres sujets !

J'arrive sans encombre au pied de la façade est, à l'opposé du portail et des gardes. Je suis désormais dans l'inconnu le plus total, et je ne suis pas à l'aise avec ça. Après cinq bonnes minutes à arpenter les contours de la villa, exceptée côté ouest avec sa porte d'entrée et sa terrasse beaucoup trop exposées, force est de constater qu'il est très difficile et périlleux d'escalader la façade pour espérer entrer directement par l'étage. Le seul endroit adéquat se trouve juste au-dessus de moi, la fenêtre ouverte de ce qui paraît être une salle de bain aux vus du grand miroir et de la faïence aux murs. Mais la façade blanche est lisse et sans prise pour escalader, pas de lierre qui grimpe comme dans les films, ni même de volets dont j'aurais pu me servir des montants. Pénétrer au rez-de-chaussée m'est impossible en l'état car je n'ai aucun matériel pour crocheter la serrure de la porte de derrière, ni pour casser une vitre. De toute manière elles sont sûrement en verre anti-effraction, et même s'ils ne semblent pas très malins, les gardes seraient sans doute alertés par un carreau cassé.

Je tente donc de sauter pour saisir le rebord de la fenêtre, me rends compte que j'ai l'air totalement stupide à penser pouvoir faire un bond aussi haut sans tremplin. Je persévère, je refuse d'être venu pour repartir sans la voir. Cette fois je grimpe sur la fenêtre d'un bureau du rez-de-chaussée, puis une fois que mes pieds sont à peu près en équilibre sur le rebord, je lâche mes mains pour attraper le montant supérieur. Je me hisse à la force de mes doigts, lève les jambes aussi hautes que ma souplesse me le permet, puis tente d'agripper de ma main droite le rebord de la fenêtre du dessus, qui est environ un mètre cinquante à gauche de l'ouvrant de la salle de bain. Patatras ! Je m'étale de tout mon long dans l'herbe qui amortit ma chute et fort heureusement le bruit de celle-ci. Les prises sont trop minimes pour qu'un grimpeur non professionnel, et encore, puisse parvenir à l'exploit que je tente. Je ferme les yeux, me mets à l'écoute de mon corps sans bouger. Ouf, aucune blessure notable. Je rouvre les paupières, et ma première vision est le canon d'un Glock qui me vise en plein milieu du front.

Sous couvertureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant