Chapitre 38A:8 janvier 1943.

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Ce jour était sûrement le dernier dans la ville.Je ne peux pas dire la civilisation.Cette ville entourant le ghetto,entre fuyards,mendiants délateurs nazis et résistants,n'appartenait plus à aucune civilisation digne de ce nom.De surcroit,c'était les 5 ans d'Agnieszka.Agnieszka a pu fêter cette anniversaire entouré de protecteurs humains.Zosia nous a donné de nouvelles tenues,à savoir ses anciennes tenues de sport.

-Tu penses vraiment fuir dans la forêt?

-Je pourrais demander de l'aide à une famille pour quelques heures,de temps en temps.

-La délation c'est pas une blague,disait Zosia sa pile de vêtements dans les bras,sous la petite lumière crue de la cave.Les insultes la délation les assassinats ciblés existent.Tout le monde ne fait pas partie de Zegota.

Quand je voyais Zosia et son grand-père,cette famille elle aussi meurtrie par la guerre,j'oubliais que l'antisémitisme existait aussi dans mon pays.Cette attitude parviendrait à autoriser les comportements les plus étranges.

Cette nuit dans la cave,au milieu de tracts de résistance collés entre eux et de mes amis du ghetto,je me rappelais de sa présence.Je me rappelais de mes cousines françaises dont je n'avais aucune nouvelle,et à Irena,que j'espérais presque en sécurité en déportation.Je me demandais si la vision totalement vitriolée de la Pologne rurale de Bronka était vraie.Puis je me rappelais de la raison pour laquelle Shoshele était partie en France.

-Zosia?

Elle se retourna vers moi alors qu'elle s'était allongée près de nous,partageant la misère qu'elle aurait pu connaître elle-même,tant elle est sûre que ce sera leur tour et qu'il faut s'entraider quand on est tous dans la merde.Une très bonne vision de ce qu'aurait pu être l'humanité au paradis.

-Vous ressemblez déjà fortement à une juive ou à une tzigane,vous me semblez judéophile,(je la vouvoie tellement je lui suis reconnaissante et encore émue),et maintenant vous nous aider.Pouvez-vous tomber plus bas?ai-je dit avec un pauvre petit rire.

-Vous avez beaucoup de courage et d'autodérision.Mais le croyez-vous vraiment?

Alors là Panne...Je vous préviens que je ne plaisante pas.Elle s'est approchée de moi et m'a embrassée.Plusieurs fois,dans cette cave lugubre,où ses bisous résonnaient.Des sons de cloche fêlés résonnèrent alors dans la maison,c'était sa mère malade,que j'espère avoir décédé avant l'insurrection de Varsovie,qui appelait à l'aide.

-Oï,oï,Zosia...Tu es....

-Oui!Je ne pourrais jamais vivre cet amour pleinement si je peux le conjuguer avec celui que j'ai pour mon pays...Au fond nos situations se ressemblent un peu.

-Sauf que toi tu ne t'appelles pas Sara Isenberg.

Elle ne m'écoutait déjà plus.Elle avait encore une mère pour qui s'inquiéter,une mère à materner,une mère dont la déchéance rappelait à Waldek celle de la sienne.Dans son sommeil,il afficha une mine triste:

-On est jaloux?

-Arrête Sara...

C'est à présent lui que j'ai embrassé dans le noir.Je ne savais pas quoi faire.Sans doute valait-il mieux que nous fuyons dans la forêt dés demain.Rester dans l'enceinte même de Varsovie me semblait trop dangereux.

-Voilà qui est intéressant,a dit Jablonski.Vous pensez que le meilleur moyen de fuir est de vous cacher dans la forêt?Je pourrais rechercher parmi mes contacts de Zegota,de l'armia krajowa,des familles qui pourraient vous aider...

-Laissez.Comment dire...Je ne veux pas dépendre de qui que ce soit,ai-je commencé.

Comment dire que dans une période où j'étais tant déshumanisée,je pensais que mon instinct me sauverait dans cette forêt?

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant