Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]

Chapitre 54B:Seules.

-Arrête de me dessiner.

On aurait dit que quand elle me dessinait,ses yeux bleus sondaient les tréfonds les plus sombres d'une âme qui avait toutes les raisons de l'être.Par la grâce de nos humiliations communes,de notre malheur commun,de la ressemblance dramatique entre nos deux destins,celle que j'avais envisagée à tort comme une ennemie devint une précieuse alliée.Je ressentais une profonde sympathie pour elle,et en acceptant de pardonner à Nikolaï,elle avait gagné la confiance de Lavra.Nous nous faisions donc une confiance réciproque.Et pourtant,est-ce que la situation pouvait être pire?

Il est parti le lendemain.Même Lina,qui était à l'origine de tant de violence et de rancoeur de la part de Lavra,était dégoûtée.C'est même elle qui nous a prévenues.

-Il est parti à sa mort.Il n'a rien fait quand ma mère à moi...

-C'est sans doute mieux comme ça,a fait à la fois maladroitement et froidement notre informatrice.

Elle devait espérer qu'elle repasse la brosse sur toutes la rouille qu'avait occasionné cette passion amoureuse sur son esprit abîmé.Sauf qu'on ne guérit pas d'un amour comme le sien.Elle ne procédait donc plus chaque matin au nettoyage rituel de sa peau avec un gant,puisque de toute façon son corps retrouverait sa saleté tous les matins.Elle semblait dans une phase de méditation avancée,sur le constat de tous les échecs qu'elle venait de traverser,ne travaillant plus.Et ne gagnant plus rien.

-Je sais que je vais vous quitter tous.

Elle était bien capable de nous surprendre,de nous attrister avec ces ambigüités malfaisantes,je ne serais pas surprise qu'en réalité elle ne nous parle que de fuite.

-Je continuerais à penser à vous et à vous chérir à chaque instant.C'est pourquoi il ne faudra pas pleurer.

Elle a pas encore prononcé le mot parents.Il y a encore de l'espoir.

-Mon voeu le plus cher est de rejoindre Nikolaï.Où qu'il soit.

-Si tu veux réussir à t'en aller il te faut manger au lieu de te laisser mourir comme ça!

-Mais pourquoi?Il ne m'aime pas.

Ce fut la douche froide.Je n'avais jamais osé penser ça de Lasse.Je n'avais aucune gêne à donner mon amour en spectacle.Alors je lui ai chanté une chanson,normalement accompagnée de violons,mais à capella.Qu'est-ce vous voulez que je fasse d'autre?

-Tu sais,je crois qu'il est vraiment amoureux de toi.

-Ce n'est pas ce genre de parole qui changera quoi que ce soit.Fais quelque chose pour moi.S'il te plaît.Sauve-moi.

-Mais tu ne peux pas accepter de travailler et de gagner ta propre ration?

Je n'hésitais plus à lui faire comprendre que cela m'épuisait de ne manger qu'une demi-baguette par jour.Et pour toute réponse elle se laissa tomber sans un cri dans la neige.J'ai hurlé et personne ne sembla se soucier de moi.Je l'ai prise sous mon bras et je l'ai ramenée comme je l'aurais fait pour un ami trop bourré.Une fois arrivée dans une hutte où tout le monde se serrait déjà les uns contre les autres,je l'ai allongée sur la table qui a vu défiler déjà plusieurs morts.Je lui ai apportée ma propre ration,la forçant à l'avaler toute entière.Puis ma soeur s'endormit et j'ai passé la nuit à ses côtés rien que pour être là si elle se réveille.Et pendant mon tour de surveillance,j'appris la mort de la mère de Viktor.Et je n'eus qu'une seule chose à faire.M'endormir à mon tour pour ne pas voir la tristesse de ce petit garçon à qui il ne resterait qu'un père malade à en crever.C'est une voix qui me réveilla,un petit merci qui me réchauffa un peu.Mais elle ne se releva pas.Elle ne me regarda pas.On aurait dit un enfant malade qui cherche à rendre sa mère encore plus triste.Elle a glissé sa main froide dans la mienne et a serré légèrement,ses jointures étaient grises et roses.

-Je m'occuperai de toi,je te le promets.

J'aurais presque pu rajouter "c'est moi ta maman maintenant".Et condamner à mon tour le salaud qui l'a abandonné.Plus rien ne le rattachait ici alors il est parti.C'était d'elena dont il était amoureux,comme elle dit "il s'était juste servi de moi."Débuterai alors l'invraisemblable tragédie d'une déportée qui s'était laissée mourir au départ de son bourreau.Mais non,ça je ne le permettrai jamais.J'ai alors très sérieusement regardé Viktor dans les yeux comme un grand garçon,à genoux devant lui en lui disant de veiller sur ma grande soeur si je mourrais avant elle.

-Comment tu peux mourir avant elle si elle est malade à ce point?

Les enfants sont formidables.

-Heuh...Je peux être embarquée dans une tempête de neige,ou tuée sur place,et après être dévorée par des loups...Ou l'inverse.Tu comprends maintenant?

Il m'a dit qu'il avait compris.Il était si loin ce temps-là où je pouvais effrayer les enfants rien qu'avec ça.J'allais adopter cet enfant si son père ne s'en sortait pas,ce serait ma résolution.Continuer parce que je suis utile à quelqu'un.

Je regarde ramper vers moi.Ce sont les jumelles.Elles aussi sont toujours là.Mes mains froides toujours sur la couverture de Lavra,je leur ai souri en promettant presque d'être leur propre mère.