Chapitre 20A:Soshele Fenmann.

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Nous montions dans l'escalier de l'immeuble en soulevant nous-même nos valises,dans cet immeuble blanc et gris aux escaliers tortueux malgré leurs rampes d'argent poli,où la lumière crue des rues bondées de refugiés entrait par une grande fenêtre occupant toute la hauteur du mur,en petit carreaux de verres cathédrales reliés entre eux par du gros ciment couleur sable.

-Entrez!nous criait tout bas la jeune femme,en poussant une porte juste en face de la cage d'escalier,dont les travaux semblaient avoir été interrompus par la guerre.Elle l'ouvrit en grand et nous laissa tous entrer,elle la dernière.

Trois personnes étaient déjà présentes dans cet appartement,et ils ne furent pas surpris de nous voir tous débarquer ainsi.Je suppose qu'ils avaient une grande générosité,et à en juger par la décoration intérieure de la maison,l'une d'entre elles devait être fille de rabbin.Une des trois personnes déjà présentes était en effet une jeune femme d'une vingtaine d'années,accrouppie à côté de deux enfants.Elle avait une peau mate,une peau d'italienne,grande et fine,aux cheveux très noirs lui tombant en cascade sur les épaules et formant une coiffe très noble autour de ce visage volontaire.Tranchaient radicalement au milieu de ce visage deux yeux très bleus.Les deux enfants était un garçon d'à peu près 4 ans et une fille de genre deux ans.Le garçon était brun à la peau claire et aux yeux noirs charbon,elle blonde aux yeux bleus et à l'air fragile,trop mignonne enserrée toute entière dans une écharpe de laine jaune et blanche représentant des fleurs sans finesse.

Ils avaient pris place dans la grande pièce principale,une pièce à trois canapés avec une table au milieu,aux murs couverts de livres religieux,mais dans cette pièce,j'ai pu voir une mezouzah,deux bougies du souvenir et plusieurs ménorah.Pas de trace du rabbin,ni de sa femme.

L'appartement semblait avoir été construit autour de la pièce,des deux côtés je vis deux chambres simples,une cuisinière un peu antique et une salle de bain vieillotte.A mon avis la famille ne devait pas être très riche.Je me demandais surtout où est ce qu'on allait bien pouvoir tous nous mettre.

Presque aussitôt,on nous invita à nous installer à la grande table du séjour.Il s'agissait de mieux nous connaître.

Soshele se présenta,nous donnant donc son prénom,et son nom de famille..Elle parlait uniquement yiddish,et elle était effectivement fille de rabbin.Mais ses parents sont morts dans un accident de voiture,et elle a hérité de la maison.Elle avait préparé le repas avec ce qui lui restait de nourriture,comme si elle ne s'attendait pas à toutes les privations qu'on allait avoir.Elle insista pour que nous nous présentions tous,dans nos derniers moments normaux.Soshele avait vingt ans,et déjà deux enfants.Un certain Abraham qui l'a abandonnée à Varsovie au dernier moment avait assumé la paterinité de Félix,alors qu'elle n'avait que 16 ans,et d'Agnieszka,quand elle en avait 18.

-Agnieszka?s'étonna maman.C'est pas un prénom chrétien?

-Si,mais c'est lui qui a insisté.Il trouvait que Salomé,c'était...

Ma mère participait beaucoup aux conversations.Moi pas,je ne parlais que quand on m'interrogeait.

L'amie de Soshele s'appelait Halina Jaroszowka.Elle a 19 ans,et doit ce nom polonais à son arrière-grand-père chrétien,un noble de l'ouest,please.Elle semblait avant même son entrée au ghetto un peu désespérée.Elle voulait que toute aille mieux,elle voulait retrouver son cousin dont elle était amoureuse,voulait que ses amies lui pardonnent,que son père ne lui en veuille plus,que son ex oublie tout et que sa soeur lui redonne une chance.Mais tout ça lui semble tellement superficielle maintenant qu'elle est là.

-Et puis,Soshele est avec moi!

Halina était née dans la ville de Kaunas,en Lituanie et elle a passé son enfance là-bas.Mais ses parents étaient polonais.Juifs polonais.

-Qu'est ce que tu fabriques?demanda violemment Soshele à son fils.

Il sursauta et rougit.

-Ecoute,n'écoute pas les conversations des grands...

Maman raconta sa vie,puis celle de son enfant et de son mari.

Timidement,elle demandait qui étaient Sara et qui était Gosia.

-Ben c'est mes enfants bien sûr!

C'est fou ce que ça l'avance.

Je ne supportais pas la façon que la maîtresse de maison avait de vouloir tous nous contrôler,de donner des ordres à ses enfants et de tout diriger dans cet appartement,c'est ce qui m'a le plus énervé chez elle,bien que je ne perde pas de vue tout ce qu'on lui doit.C'est juste qu'il ne faut pas oublier qu'on est juste les pantins,juste une poussière à éliminer,selon ceux qui ont le plein pouvoir sur nous.

Elle demanda à la dernière famille de se présenter.Et elle leur offra la composition florale que lui avait offert son cher Abraham avant de quitter la ville.Comme si elle nous avait attendu.

Quand je me présentais,Waldek fermait profondément les yeux pour écouter ce que je disais,et j'ai fait pareil par égard pour lui.On oubliait l'espace d'une seconde le monde cruel et dévastateur qui s'étendait sous nos fenêtres,celui qu'on affrontera demain,comme aujourd'hui,Panna,quand je vous raconte ma vie,ces évènements qui viennent du plus profond de mon passé.Parfois,j'ai l'impression de tous les entendre encore,j'entends l'écho de toutes ces voix,comme si ils étaient encore là.Pas là(et je monte ma poitrine en tapant du doigt dessus,mais comme l'organe est encore fragile ça fait trop mal),vraiment là,vivant encore dans la même espace que la terre et ankarka.Mais c'est pas vrai.

Waldek avait à l'époque seize ans,et sa petite soeur Ania,onze.Un murmure approbateur fit place et les parents ne parlèrent pas.Ce furent leurs enfants qui se chargèrent de nous raconter.

Il ne prit pas de risque en lui racontant ma vie,ne pris pas de risque en étant entendu de ses parents.

Il me parla de son père,Wladislaw Brejnakowski.Il me dit qu'il était encore plus retourné que d'habitude,sans doute parce qu'ils se sont retrouvés enfermés ici,et qu'il a perdu sa soeur récemment.C'était un homme de 38 ans,ancien soldat,légèrement barbu et bruns aux yeux noirs,plutôt beau de mon point de vue.Comme je disais,son père est chrétien polonais,et sa mère juive.C'est ça qui a du séduire sa mère,Bronka Dal,37 ans,qui continuait de tenir une bouillotte glacée sur son front en se retenant de fondre en larmes d'énervement.

On discutait égoïstement pendant que tout le monde dans la maison s'organisait,on s'entendait tellement bien que certains voulaient qu'on la ferme.

La mère de Waldek avait les cheveux courts,blonds,la peau rose,un sourire jeune et timide,elle avait l'air norvégienne.

-C'est ce qui lui a bien rendu service.Ma mère vient d'un petit village polonais de l'est,vers l'ukraine,et là-bas la communauté chrétienne était furieusement antisémite,c'était l'horreur.La seule chose qui l'a sauvée,c'était d'être blonde aux yeux verts.Sa famille,face à ce climat social trop difficile à supporter,est arrivée dans cette grande ville,ses parents sont enterrés ici,ils se sont plutôt bien intégrés au final.Ma mère avait donc un a priori très négatif des polonais,d'ailleurs elle ne parle même pas bien leur langue,mais elle a rencontré mon père,elle est tombée amoureuse et quand elle a vu que ses origines étaient un symbole de paix,elle s'est dit,je l'épouse tout de suite!

-C'est mignon,comme histoire.

-Oui.

On fut réparti dans les différentes chambres.Soshele dort dans la chambre de droite avec ses deux enfants,Halina dans la chambre de gauche.Je dors avec Waldek et Marel dans le canapé sous le lit,c'est beaucoup trop petit,mes parents dorment avec Gosia et Ania,malgré ses onze ans,dort entre ses deux parents.

-Oh,c'est trop cool,on couche ensemble!fit Waldek en s'approchant.

-: IPA!lui dis-je en lui lançant mon oreiller en pleine poire.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant