Penne,je tiens à préciser que je n'ai aucun courage.Je sais que les destinées de Sara et Loony doivent être pires que la mienne,pourtant je n'arrive même pas à m'en remettre.Je vois les agents russes frapper à notre porte,comme je vous en ai parlé. Tous ces gens pensaient que seulement les hommes seraient emmenés en camp de travaux. Mais non, surpriiise. Tout était comploté depuis quelques temps auparavant. Je vois tous ces gens comme nous monter dans les bus qui les conduira vers la gare routière, vers l'enfer. Je vois la pagaille, la panique. Et l'insouciance de ces enfants qui ne comprenaient rien, et qui étaient sûrs que des adultes ne leurs feraient rien. Je nous vois dans cette gare,Penne,et je n'ai même pas le courage de me dire que j'aurais pu avoir une pire destinée. Je vois les enfants.En train de pleurer. Les femmes qui y ont accouché, et ont tenu leurs bébés morts dans les bras. Et ces adolescents, terrorisés mais qui devaient faire semblant d'être forts, comme leurs disaient leurs parents. Les sacs piétinés par le flot de tous les autres. Les cris des malades, les visages décomposés des parents. Les jeunes filles, qui en deux minutes étaient devenues des dames devant être des battantes.Sauf moi,bien sûr. Et quelques instants plus tard,je revois notre trajet. Je vois ces gens entassés comme des moutons dans les wagons à bestiaux. L'odeur des cadavres, de l'urine. Ces trains qui nous conduiront vers la mort. Ces camps. Je nous vois, entassés dans un cercueil roulant,alors que j'essayais de positiver pour ne pas montrer quelle tarlouze je suis. Ces gens, qui fabriquaient des petits objets pour passer les temps. Ces hommes, la tête dans les mains, murés dans un silence profond. Et je vois cette scène fracassante. Cette scène où les enfants étaient séparés de leur mère. Où ils se voyaient pour la dernière fois de leur vie. Ce femmes qui se sont battues, qui ont tout donné pour ce qu'elles avaient de plus cher au monde, leurs petits trésors de cinq ans à peine, avant d'être emmenées là-bas. Où leurs enfants les retrouveront quelques jours plus tard au paradis. Je vois.
Mais j'ai rien pu faire.Je ne suis qu'une bonne à rien,Penne.Je ne suis pas celle que vous cherchez.
-Lana.Nous voulons tout entendre de votre histoire.Elle est sûrement plus dure que vous ne le croyez.
-L'intérieur de notre wagon était à peine éclairé,l'unique lampe étant éteinte.Les murs étaient nus,la chaleur nous étouffait,une odeur de transpiration commençait à se répandre tranquillement.Me connaissant,je me voyais mal voyager là-dedans sans encombres.J'ai jeté un regard circulaire à la foule,dont le bruit me semblait lointain,dans l'espoir de voir mon paternel.De toute façon,ce train était réservé à tout le monde sauf aux gens comme lui.C'était le wagon pour les jeunes enfants,les femmes,et les infirmes,comme ce Rabys.Parmi ceux que je connaissais il y avait nous,la prof de maths,Markas Rabys,Madame Sessimis et Ama.D'autres personnes continuaient de s'entasser avec nous,dans ce futur cercueil sur roues.
-On s'assoit ici?demanda tristement ma soeur,en désignant ces colonnes de planches en bois parcourant les quatre murs,mais ce mince filet de voix s'est perdu quand il a fallu hisser à bord Viktor et sa mère,son père étant dans un autre wagon.Une plaie venait d'être grande ouverte dans mon pauvre pays.Si c'était une personne,elle devrait aller à l'hôpital;
On entendait les petits cris soulagés de ma jeune soeur.
-Vous êtes mieux dedans que dehors.=,fit ma mère,avant de câliner sa fille en lui murmurant quelque chose comme "c'est dur je sais,mais au moins on est toutes les quatre,ça va bien se passer"
Ils pouvaient souffler,mais ils ne pouvaient pas inspirer,l'air commençait à disparaître,j'espère que les agents nous laisseront ouvrir la petite fenêtre de l'autre côté,celle par laquelle il est impossible de s'enfuir.J'avais envie de chanter,pour me donner du courage,mais on ne s'entendait plus.Je ne savais pas comment réagir,j'étais dépourvue de réflexes.Mais j'ai décidé de regarder par la porte encore ouverte du wagon,voir une dernière fois la vérité en face,devenir une femme battante comme demandaient les parents.Et c'est là que je les ai vus,parmi les derniers malheureux qui n'ont pas commencé le voyage.Ils étaient deux.Une femme d'environ 35 ans,marchant le plus vite possible le long du quai,sûrement pour éviter qu'on ne la sépare de son fils,mais il y avait une certaine banalité dans sa démarche,comme si elle prenait un tramway.Cette femme avait de longs cheveux fins,d'un châtain roux soyeux,avec un visage rose très doux éclairé par des yeux sombres,habillée avec uniquement un petit chemisier à fleurs roses,jambes nues,et nus pieds.Et il était avec elle.Un garçon avec un sourire encore plus éclatant que le sien,la peau dorée,la frange clair,et un air délicieusement effronté,l'air sûr d'affronter la vie.Il portait une salopette bleue sur son chemiser rouge,on aurait dit un adolescent déguisé en gamin.A peine furent ils hissés à bord du train que les deux grands battants de la porte du train se fermèrent derrière eux.A croire qu'on attendait plus qu'eux pour nous expédier en prison.Et à peine furent-elles fermées qu'ils se présentèrent à nous en parlant avec un fort accens scandinave:
-Je m'appelle Annicka Härdstormm,et voici mon fils Lasse,il a 15 ans.
-Bonjour,fit ma mère,ravie d'avoir trouvé une alliée,voici mes filles Lavra Lana et Gaëll.Je me nomme Ilentha Ryvaldis.
Derrière nous,une symphonie d'ongles battait le bois.Elle m'empêchait de réfléchir.Que faisaient-ils en Lettonie?
Lasse se racle la gorge et agite ses mains devant mon visage,comme pour me faire de l'air.C'est efficace.Très efficace.
-Que faisiez vous dans ce pays?
-Ma mère nous a emmenée ici il y a un ou deux ans.
Sa voix était presque inexistante.Un petit filet mais qui pouvait donner une grande rivière.
-Lana?Est-ce que ça va?reprit-il de sa voix faible.
-Oui...Non...Tout est relatif.Pour une fille dont on a arrêté la famille le soir de son anniversaire,et qu'on a enfermée ici,qui ne peut pas trouver de place où dormir et dont la robe est déjà moite,oui je vais bien.
Il me tint la main,mais je me suis aussitôt défendue.
-Me touche pas!criai-je.Je tire brusquement mon bras de sa poignée.
-As-tu pleuré?demande-t-il d'un ton curieux.Mais personnellement,je ne peux pas croire qu'il se sente autant concernée par moi.Nous sommes des dizaines et des dizaines à être dans la même galère que moi,et la plupart n'ont pas ma chance.
J'enlève mes chaussures et me place près de la porte.Devrais-je essayer de forcer la porte où devrais-je continuer à parler à Lasse?Pourquoi me témoigne-t-il autant d'amitié?
-Lana,chante nous quelque chose,me dit ma soeur d'un ton pressant,comme si sa vie ne dépendait.Lana,chante nous quelque chose dans notre langue.
Vous savez ce que fait un peuple quand il est blessé?Il chante.La voix,c'est tout ce qu'il lui reste.La voix,c'est ce qu'il me reste aussi.Je peux toujours chanter ici,je le pourrais toujours.
J'ai avancé les lèvres,j'ai poussé ma voix,et j'ai obéi à Lavra.La mélodie vient seule.Une chanson que j'aimais.
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Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]
Science FictionElles sont trois.Trois filles amenées dans une chambre d'hôpital,un lieu un peu hors du temps. Trois filles au passé plus que difficiles... PS:L'Histoire de Lana est essentiellement une fanfiction de Between shades of gray (en français ce qu'ils n'...