Chapitre 22B:L'odeur des herbes aromatiques.

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-Maman?demanda Lavra d'une voix catastrophée.Pourquoi?

-Est-ce qu'on restera ensemble?demanda à son tour Gaëll,coupant court à cette réponse assez bonne pourtant.

-Ils nous vendent par lot,répondit maman.

Nerveusement,j'ai regardé ceux qui constituaient notre groupe actuel,me demandant comment tout ça allait bien pouvoir se passer.A part deux hommes de plus de 55 ans,c'était surtout "les femmes et les enfants".Et Lasse,qui n'était plus un enfant.De plus,il semblait être parfaitement apte au travail.Plus qu'au travail,d'ailleurs.J'espère qu'il agira en conséquence,ou du moins qu'il fera l'effort,vu qu'il saura comment agir.C'est là qu'une question dont la réponse nous avançerait beaucoup germa dans mon esprit,fécond aux problèmes:

-Est-ce qu'il faut souhaiter d'être acheté?Que devons-nous craindre?

On aurait dit un sujet de philosophie.Bien qu'on soit des intellectuels,et même si la question était cruciale,personne n'a daigné répondre.Après,c'était trop tard.Un homme s'approcha de notre groupe,avec un agent du NKVD pour toute compagnie.Les autres baissèrent les yeux vers les chaussures en se disant:

-Que ça se termine...Termine...Arrêtez...

Lavra portait encore une petite quantité de maquillage,du fond de teint du crayon noir et du mascara,et elle essayait de l'enlever.Elle ne portait que du noir.Les hommes firent des petits commentaires entre eux,l'officier secoua la tête,fit adopter à ses mains des poses plus que suggestives vers ma soeur aînée,laissa tomber,se retourna.Le sibérien (je crois qu'il est sibérien),refit un dernier tour d'horizon au cas où,et  ses yeux tombèrent sur Lasse.C'est la première fois que j'ai regretté d'avoir oublié de dire ce que je ressentais pour lui,la première fois que je m'en étais vraiment aperçue.

Le sibérien s'est approché du suédois,lui cria dessus,Lasse n'a rien répondu,il semblait génialement déconnecté de la réalité comme s'il employait une méthode bouddhiste.Sa mère prononça un mot en russe,et elle faisait d'étranges mouvements circulaires,avec ses mains.Il finit par laisser tomber l'affaire,en regardant les membres du groupe dans un silence d'enterrement,sous une chape de stress mortifère et imminente.Puis ils reprirent leurs affaires,agitèrent les mains comme pour nous faire comprendre,que,décidément,il n'y avait rien à tirer de nous,et ils allèrent voir ailleurs.

-Avez-vous faim?demanda Annicka.

-Non,pas du tout,pas du tout,répondit Markas,on voyait bien qu'il se moquait d'elle.Mon cher Rabys si tu savais.

-Vous savez plutôt où on doit continuer de manger?demanda Madame Grimas,qui avait toujours les enfants dans les bras.

Personne répond,parce que personne ne connaît la réponse et tout le monde a littéralement de la salive à économiser,et Lasse me regarde.

-Vous pouvez faire ça maintenant.Profitons du fait de ne pas être là-bas.

Il désignait l'horizon de la vallée,là où il y a le soleil,là où disparaissaient les groupes adjugés vendus,au pied des collines.

-Oh non,ça va vraiment,fit MADAME Sessimis en riant.Et puis,il faut avouer que le vin est excellent.

Cette documentaliste apprèciée des enfants faisait avec talent tout pour détendre l'atmosphère.Je devrais même lui offrir une statue en caramel fondu à son effigie,comme à maman,pour être si forte et intelligente.Ceci dit,je ne sais pas pourquoi mais je n'avais plus vraiment besoin d'aide.Je me sentais revivre,comme si je sortais de chez moi après une longue bataille contre la maladie dans un hôpital en Europe occidentale.L'herbe avait une délicieuse odeur de ciboulette,le soleil me gonflait.

Pendant ce temps,les officiers regardaient les trains,en se plaignant de l'état déplorable dans lesquels on avait osé mettre cette propriété soviétique,à quel point on était vraiment des crasseux,etc.De toute façon,ils étaient prêts à partir.

-Ils retournent en chercher d'autres,j'ai constaté.

-J'espère pas,fit Lasse.

-Pense-tu,lui répondit Lavra.Ils ne s'arrêteront pas,ils augmenteront le nombre de leurs wagons pour se débarrasser de nous.

-Arrête de dire ça s'il te plaît,j'ai fait.J'ai pas envie d'entendre ça maintenant.Tu veux bien faire ça pour moi.

-Ce serait irrespectueux,me souffla mon ancienne prof de Maths.

-Maintenant,qu'est-ce qu'on est censé faire?je demande.

On est resté ici.Lavra s'est retirée de notre groupe,et elle se mit en haut d'une bute,comme si elle surveillait quelque chose.Lavra,celle qui plus tard dira:

-Je suis une pute,une pute qui ne vaut rien,je ne devrais pas fuir avec vous deux,mais mon destin est de rester,de rester avec lui...Après cette nuit,j'ai su que je ne reviendrais pas en Lettonie avec vous.

L'excès de salive dûe à la faim se tenait dans les coins de sa bouche et elle clignait des yeux rapidement.

Mon corps se raidissait et ma respiration en intensité augmentait.Elle nous avait dit encore:

-Ne me parlez pas de cette nuit,et ne va pas me parler de papa!Tout ça est de sa faute!

-Ce n'est pas de leur faute,mais bien de la nôtre..

Et elle retournait le voir.Mais tout cela,nous étions bien loin de nous en douter.Pour l'instant,nous étions juste un simple groupe d'ombres dans le couchant.Elle était simplement silencieuse,tout comme moi.Il ne restait que deux groupes sur l'herbe.Je me demande parfois ce qui se serait passé si nous n'en faisions pas partie.Si je serais encore en vie.

Madame Grimas,s'occupant de ses quatres enfants,n'arrêtait pas de hurler sur la pauvre Annicka,l'accusant d'avoir fait le mauvais choix en voulant convaincre le NKVD de s'acheter autre chose que nous,adoptant ainsi une position de faiblesse qui vaudrait notre liquidation totale.Je ne devais pas sembler beaucoup réfléchir,pendant que je me dorais la pilule,profitant du contact de l'herbe molle et chauffées sur mes mollets,mais cela ne m'empêchait pas de penser.Moi,j'étais d'accord avec elle.Après cette anecodte,je l'ai toujours été.

Markas Rabys avait encore une position différente,très markassienne(ce mot n'existe pas,je viens tout juste de l'inventer):

-Tant mnieux.Au moins comme ça,ce sera fait,dit-il indifféremment en finissant le simple verre d'eau qu'on avait pour la journée.On ne peut pas dire que les choses se passaient très bien.

-Je vous rapelle,insista la mère de Viktor,que nous allions être réduits en esclavage,ce n'est pas rien!

Lasse agissait à sa manière,comme si rien ne s'était passé,ce que les jaloux pourraient faire passer pour une prétention idiote.Sa mère jouait le même jeu.

-Un peu de travail ne vous tuerait pas,dit Madame Grimas.Ils devaient simplement avoir besoin de bras pour des travaux des champs.Vraiment,plus je vous vois,vous et vos caprices de petits bourgeois,plus je comprends pourquoi on a pas voulu s'encombrer de nous.Pauvres petites choses,si maigres,si fragiles.

Je suis une fille de paysans riches moi!

-Eh bien on a trouvé quelqu'un pour déterrer de la nourriture si besoin est,sourit Lasse hypocritement.

-Moi je suis d'accord avec elle,j'ai dit.

-Moi aussi fit Lavra.Je suis fille d'universitaires par contre,mais vraiment ses mots reflètent parfaitement ma pensée!

Sans attendre de réponses,mes soeurs Lasse Viktor et moi sommes allés au bord du petit lac de montagne,les jambes trempées dans l'eau,pour ne serait-ce que s'hydrater la peau.Lasse me tendit sa main une fois de plus.Gaëll suçait son pouce en regardant les têtards.

L'eau est tellement bonne,tellement meilleure que ce à quoi je m'attendais.Je passe mes doigts dans mon immense touffe de cheveux noirs regroupés en une grosse baballe,l'ombre minuscule de ma mère se découpait au loin et on parlait politique.

Je bois l'eau du lac,emplissant d'un peu d'humidité mes longues mains maigres et translucides,blanches.

Gaëll plaisanta:

-Un jour,je serais tellement mince et je me ferais tellement petite que le vent m'envolera loin,loin d'ici.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant