15 Septembre 1944.
Drôle de conseil et pourtant,premier que j'ai reçu en étant ici,juste après Aniela.Je dis Aniela oui,comme si sa vie si brève n'avait été qu'un évènement en lui même.
Se battre avec son corps,ça voulait dire se battre avec le contenu comme le contenant.C'était lui qui devait se battre parce qu'avant d'attaquer,c'était surtout lui qu'on devait attaquer.Les nazis n'ayant aucune sorte de religion ou d'éthique,ils ne croyaient pas à l'immortalité de l'âme.Abattre les corps,les laisser s'abîmer d'eux même,parfois les détruire,leur suffisaient amplement.
Mais nous n'avions pas le temps de nous préoccuper de ce genre de considérations métaphysiques.C'est maintenant,après coup,ici,que j'y réfléchis.Le contenant était dans un sale état,marqué,je n'avais plus de cheveux,rien à quoi me raccrocher pour me dire que j'étais belle.Quant au contenu c'est surtout lui qui se déteriore,et le contenant n'est que symptôme.Et si j'avais su ce qu'il contenait réellement,les choses auraient elles été différentes?De toute façon j'avais trop peur et j'étais bien trop seule.Je préférais à choisir me promener avec un drapeau blanc dans le ghetto.Le ghetto,oui,au moins ça c'était viable.Même en connaissant mon passé je ne m'attendais pas à ça.Le frisson qui me remonta dans le dos ressemblait à celui de centaines de doigts.
Nous nous dirigions lentement,sous une chaleur que je n'arrivais plus à calmer,vers les usines,entourées d'autres déportées.Une me marqua.Un grand sourire sur le visage,très large sur ce visage minuscule qui avait pris le soleil,pratiquement le même foulard que celui qu'on m'avait condamné à porter,des chaussures nouées autour du cou par les lacets pour ne pas avoir trop chaud.Quand elle retira celle-ci,j'aperçus un petit P rose sur sa poitrine là où je portais l'étoile.
Je sais exactement où se trouvent chaque bâtiment si vous voulez enquêtez sur ce qui reste des lieux.
-Vous ne voulez pas m'en parler?
-Effectivement j'ai parlé de la mort de ma famille.
Mais le camp...J'y étais il y a quelques semaines et c'est comme si je ne m'en rappelais absolument pas.
-Je ne te crois pas.
-Je me rappelle du 15 septembre en fait...Il faisait nuit et j'avais échappé à un assassinat,alors que je me remettais peu à peu de la perte de notre très chère amie.
-On a tenté de vous tuer?
-C'était la première fois et ça ne sera pas la dernière.Ils étaient trop pressés de nous voir mourir.Pas un moment propice à le remémoration.
-Comment ça on a tenté de vous assassiner?
-Je ne sais pas qui...
-Ou plutôt vous ne vouliez pas le dire...
-Vous pensez que?Non,enfin,ai-je fait,et le ton était assuré cette fois là.J'ai encore du mal à croire à ce qui m'est arrivé,Panne.ça faisait un an et demi,plus d'un an et demi que j'avais fui la civilisation et je ne croyais pas que malgré les épurations de partisans dans la forêt ils tomberaient un jour sur nous.Je ne pensais que pas que notre groupe,que nos vies,que nos lignées se termineraient.Et ça ne semblait inquiéter personne.Même pour les non délateurs,ils semblaient s'être faits à l'idée que nos vies appartiendraient au passé.Dans n'importe quel autre pays d'Europe où nous seuls juifs étions les indésirables,nos vies n'auraient que la valeur d'un faire valoir,une manière de briller en société,une histoire à raconter à leurs enfants à perpétuer.
-C'est donc ce que vous pensez de Zosia?
-Si ma vie était un jeu celle de Zosia aussi.Je crois en elle,moi.Je crois toujours en mon pays d'origine,parce que je suis la fille de mes parents.
La fille d'un père qui a combattu au côté de sa future femme pour l'indépendance de la Pologne et qu'on remercié en confisquant l'auberge-relai qui marquait la frontière entre le tronçon russe et le tronçon austro-hongrois.Qui a vu qu'à peine il sabrait la vodka pour célébrer la renaissance national qu'un pogrom éclatait dans la ville toute proche.Qui a appris que Chopin,l'une des figures les plus appréciées des juifs de Pologne,parmi lesquels se trouvaient ses meilleurs interprètes,était un de ses nombreux pas-antisémites-mais-presque.Maintenant que la guerre est fini et que j'ai passé trois semaines toutes seules j'ai pu sérieusement penser à tout ça.Le temps où je ne manquais pas de trébucher de peur pour Waldek ou pour la santé d'Ania, je pensais à manger.
Ce que je veux dire justement c'était qu'en Pologne les enjeux étaient trop grands.Qu'est-ce qu'ils risquaient dans les autres pays?Qu'est-ce qu'ils risquent les néerlandais et les finnois?Pourtant j'en vois beaucoup là-bas.Et j'ai croisé des françaises aussi.C'est comme ça que j'ai appris.Je parlais le français que j'avais appris à l'école alors que je maîtrisais à peine l'hébreu.Je vous l'avais dit.
C'est la dame aux chaussures qui m'avait servie d'interprète.Je n'avais aucune raison de me méfier d'elle.Les âmes non antisémites ont toujours à mes yeux un air profondément pur.
-J'avais oublié que dans un couple il fallait être deux à y croire.
C'était une hongroise née en France et qui ne parlait pas Yiddish.On ne peut parler qu'au travail comme si on avait pas de salive à littéralement économiser.J'avais envie de l'entourer de mes bras et de lui murmurer doucement quelque chose à l'oreille.
-Vous voyez que vous avez des souvenirs!
-Je me souviens que je l'ai appris mais je ne sais pas comment.J'ignore si c'est vraiment connecté au camp,selon moi.
Quand on connait l'histoire m'avait elle dit,on sait qu'elle est impulsive.La Hongrie ne méritait pas la confiance qu'elle avait accordé à la France.Les émeutes de 1934,me disait elle,auraient conquis le pouvoir.
Elle m'a expliqué sobrement que si mon père était né français il serait la norme.Je lui ai expliqué que la soeur de ma mère avait immigré en France pour faire ses études car étant juive elle ne pouvait pas étudier l'agronomie en Pologne.Apparemment la Hongrie avait des lois similaires.
Toujours est-il que la France avait du crédit aux yeux de la communauté juive et à raison.Ils s'attendaient,très sincèrement,à ce que Pétain revienne sur ses décisions.
-Ils ont fait du zèle,tu parles.Ils déportaient même les enfants.Même la Hongrie a mis plus de temps.
La haine envers son pays d'origine forçait son chemin à chacun de ses mots.Ils rejetaient la Hongrie et les hongrois autant que mes parents s'étaient sentis polonais.
-Shoshele Holländer,ça ne vous dit rien?Une étudiante en agronomie?
-Quand j'ai atteint l'âge d'étudier on m'en a presque immédiatement ôté le droit.Mais si le couple est polonais et est venu en France,et si ils sont restés vivre à Paris,peu de chance qu'ils soient encore en vie...Dire que nous les parisiens on se moquait des provinciaux.
-Vous avez bonne mémoire,fit Panne,sarcastique.
-Je sais plus exactement ce qu'elle m'a dit j reconstitue.
Elle était là depuis plus de deux ans et elle savait qu'elle n'en avait plus pour longtemps et pourtant elle travaillait jusqu'au bout.Je l'ai ensuite aperçue avec son foulard à carreaux bleus dans la foule puis j'ai su au détour d'une conversation qu'elle était morte.La gardienne,plus fine qu'elle ne le semblait au premier abord,nota qu'effectivement un corps peut littéralement s'épuiser.Elle ne m'avait pourtant rien confessé de particulier.
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Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]
Science FictionElles sont trois.Trois filles amenées dans une chambre d'hôpital,un lieu un peu hors du temps. Trois filles au passé plus que difficiles... PS:L'Histoire de Lana est essentiellement une fanfiction de Between shades of gray (en français ce qu'ils n'...