Chapitre 41B:Riga,je t'aimais.

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J'ai vécu une semaine comme si j'avais été en vacances.J'ai profité de ma première cigarette,moi qui disait ne pas vouloir me tuer encore plus,de mes derniers instants de ce que l'on pourrait appeler un calme familial,retrouvant mes pensées.On nous avait débarqué sur une large berge,celle de l'Angara,faite de galets gris,berdée par une eau pure et lumineuse,j'adorais ça.

-Lana,tu m'avais pas dit que t'étais contre?me demanda ma mère d'un air suspicieux.

-Non,t'as raison,promis c'est la première et la dernière.

N'empêche,je me suis sentie infiniment libre,assise au soleil,à rien faire et à manger de la purée aux céréales,en fumant.Ce fut le deuxième jour que je vis que ce blond,Nikolaï,avait déjà une prétendante.

C'était une des lituaniennes qui faisait le voyage avec nous,ou plutôt avec qui on faisait le voyage.Elle s'appelait Elena,et elle semblait avoir l'âge de ma mère.Mais aimer un soldat semblait un acte de collaboration,et la collaboration semblait étrangère à Elena,comme je pensais qu'elle le serait à Lavra,me trompant royalement sur ce dernier point.Je ne sais pas si c'est parce que j'étais déjà amoureuse,mais je ne vois pas ce que les filles lui trouvent.

Mais si tu survis,Lavra,tu auras une place de choix dans le caveau familial à Riga.J'ai appris,pendant mes années de déportation,que c'était là le plus haut espoir qu'un humain puisse nourrir.

Ce que j'ai préféré pendant cette semaine,sur le fil du rasoir comme j'aimais à le dire,c'était ces veillées.Ces veillées où je me sentais invulnérable à la mort,dans mon élément le plus pur.Je chantais,autour de feux de rondins,en cercle.Comme des scouts dans une immense forêt inhospitalière,j'entonnais plus fort que les autres des chansons du pays.Je savais que tôt ou tard,nous ne tiendrions plus,que nous allons nous adonner à un déshonneur quelconque,la collaboration charnelle,le vol de nourriture,l'épuisement,allez savoir.Mais en chantant ainsi,laissant résonner des chants patriotiques qu'il me gavait d'apprendre à l'école,nous nous sentions puissants.

Lavra avait ressorti ses plus beaux vêtements,comme si elle savait déjà,ou plutôt pensait déjà,qu'elle ne" reviendrait pas.Elle restait citadine,désespérement superficielle,ce genre de démons dont on ne doit jamais parlé en URSS.Elle flottait dans un ensemble pantalon blanc,s'était remaquillée discrètement,avait remis quelques bijoux fantaisie d'ambre balte.Elle devrait pourtant le savoir à la longue que ce n'est absolument pas le meilleur moyen pour séduire ici,elle me désespère parfois.

Les derniers soirs,après être restés longtemps à bronzer nos peaux clairs,nous nous sommes jetées dans l'eau froide.C'est alors que ma mère,qui nous avait rejointe,vit une bague en forme d'ellipse ambrée flotter puis couler dans l'eau transparente.

-J'insiste,Lavra.Où as-tu eu cette bague?

-C'est ta soeur qui me l'a donné,j'avais tellement l'habitude de la porter que j'ai oublié sa grande valeur jusqu'à ce que tu me la rappelle.

-Tu as vraiment de l'eau dans la tête,Lavra.As-tu oublié jusqu'à l'existence de ces soldats qui nous surveillent?Ils nous ont déjà pris tout ce que nous avons.

-Ce ne sont que des biens matériels,ai-je rétorqué en me mettant devant Lavra.C'est ce que tu te tues à nous dire non?

-J'en étais sûre,a fait Lavra.Ma petite soeur,toujours là pour me défendre!

Malgré l'intonation de la phrase,je n'y décelais aucune ironie.

-Lana?

Ma mère,bien qu'elle ne soit pas une bourgeoise matérialiste,ne comprennait pas on dirait.

-écoute-moi bien Lana.Il y a encore des choses,au sujet de ton père notamment,que je ne pourrais pas te révéler même si je le voulais.Parce que...j'estime que c'est au-dessus de mes forces et que je pense que Lavra,ou même papa si nous le revoyons un jour,sera mieux placé pour le faire.

Les bourgeons de la Haine [Between shades of gray fanfic]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant