CHAP 3

1K 133 2
                                    

En arrivant devant la caravane de Daven, Gino sortit une cigarette.

— Rentre, me dit-il, j'arrive !

— Je vais t'attendre, lui répondis-je en m'asseyant sur le marchepied.

Il s'assit près de moi, puis après un instant de réflexion, il se lança sur un sujet qu'il savait savonneux :

— Dis-moi pourquoi tu parles jamais de ton frère ?

La surprise s'afficha sur mon visage et il me fallut plusieurs secondes pour réussir à lui répondre d'une phrase cohérente.

— Parce que je ne le vois pas.

— Et qu'est-ce qui t'empêches de le voir ?

— Lui.

— Pourquoi ?

— Il ne cherche pas à me voir, je ne l'intéresse pas, c'est tout.

Il tira sur sa cigarette et le bout incandescent éclaira son visage que je trouvais toujours plus beau.

— Tu sais, me dit-il très sérieusement, ça fait plusieurs mois qu'on est ensemble maintenant. Je n'irais pas jusqu'à prétendre que je te connais par cœur, mais il y a une chose que j'ai remarqué, tu souffres de cette situation... et pas qu'un peu.

Son regard pénétrant m'incita à le fuir en plongeant le mien sur le sol. Ma gorge se noua et je me murai dans un silence criant de vérité pour Gino.

— Tu ne peux pas continuer comme ça Lili. Ca te bouffe. Reprends contact avec lui !

Mon frère était un sujet tellement douloureux pour moi que la seule façon de soulager la souffrance que cela engendrait fut de me mettre en colère ; je me relevai.

— Et pourquoi ce serait moi qui devrais le faire ??? Il n'a pas eu une seule attention pour moi depuis des mois ! Son cadeau de Noël est resté sur le meuble de l'entrée pendant plusieurs semaines. Il n'est pas venu le chercher, c'est mon père qui lui a emmené. Et quand on l'a croisé au concert, il n'a même pas fait un pas vers moi !

Ce soir là avait été terrible. Daven nous avait invité au concert de Seth Gueko, son rappeur préféré et dès le début, je m'étais sentie mal. C'était plus exactement comme un mauvais pressentiment, une sorte d'angoisse qui me tenaillait le ventre et qui ne me lâchait pas.

J'avais cru comprendre d'où venait mon malaise quand j'avais croisé les deux garçons avec lesquels je m'étais battue le soir du run sauvage. C'était plusieurs mois auparavant, mais à leurs regards mauvais, j'avais compris qu'ils ne m'avaient pas oubliée. Mais je ne m'étais pas attardée sur eux car la personne qui se trouvait à leur côté et qui les accompagnait m'avait fait perdre pied. Mon frère était avec eux et il leur parlait comme s'ils étaient proches.

Grâce à la transformation qui avait développé mon ouïe de façon considérable, j'avais pu entendre, malgré la puissance des décibels, un des garçons dire à mon frère, alors qu'il me tournait le dos et qu'il ignorait ma présence, que la folle furieuse était là, elle aussi. Il m'avait désigné d'un signe de tête. Lorsque Celso s'était tourné dans ma direction et avait posé son regard sur moi, ses yeux n'avaient exprimé aucune émotion. Il n'y avait rien eu, comme si j'étais une inconnue parmi les autres inconnus qui se trouvaient dans le même lieu que lui. Le plus terrible fut la phrase qu'il avait prononcée alors qu'il me regardait toujours.

— Je vois rien qui vaille la peine d'être vu !

Puis il s'était retourné et avait reporté son attention sur la scène.

Voilà, il avait parfaitement résumé ce que j'étais pour lui : rien, absolument rien...

— Il m'a purement et simplement ignorée, repris-je avec un sanglot dans la voix. Alors dis-moi, pourquoi se serait à moi de sauver quelque chose qui n'existe pas ?

— Assieds-toi, m'invita Gino sans réagir à mon emportement. S'il y a bien une chose que j'ai comprise, dit-il alors que je me rasseyais en essuyant les larmes naissantes qui humidifiaient mes yeux, c'est que ce n'est pas lorsque les personnes ne sont plus là que l'on peut leur dire qu'on tient à elles.

— Il est déjà parti.

— Non, il est encore là. Il n'est pas trop tard ! La famille, c'est ce qu'il y a de plus précieux dans une vie.

— Ma famille, elle est ici. C'est ici que j'existe, pas chez moi.

— C'est peut-être vrai. Mais en ce qui concerne ton frère, il est toujours dans ton cœur. C'est la réaction que tu viens d'avoir qui le dit !

Bien sûr, Gino était dans le vrai. Mais je préférais ne pas le reconnaître, c'était beaucoup plus facile.

— J'essaye de l'oublier. Un jour, j'y arriverai.

— Un jour ? releva-t-il, un sourire moqueur en coin mais les yeux emplis d'une tendresse qui me surprit. Quand tu marcheras avec une canne et que t'auras plus de chicots ? Parce qu'à chaque événement, triste ou heureux, qui viendra et que tu ne partageras pas avec lui, tu y penseras. Un jour, il va se marier, avoir des enfants, tout comme toi. Chaque événement sera là pour te rappeler combien il te manque.

— Je le sais, mais je ne peux rien faire pour changer ça.

— Penses-y tout de même. Il n'est pas trop tard, me dit-il en me prenant dans ses bras.

Nous restâmes quelques instants dans cette position, quand je constatai avec une pointe d'amertume dans la voix :

— En fait, je ne vaux pas mieux que toi. Je t'ai reproché d'avoir choisi la facilité en ne révélant pas à Réanne que c'était à cause de moi que tu renonçais à te marier, et je fais pareil en essayant d'oublier que j'ai un frère...

Gino ne releva pas, mais il resserra son bras autour de mon épaule et m'embrassa sur le front.

Je dormis mal cette nuit là car cette conversation m'avait perturbée. Je m'étais remémorée la rencontre avec mon frère qui avait dépassée de loin celle avec les garçons du run sauvage, tout comme le fait qu'ils étaient amis avec Celso. Puis un détail que j'avais jusqu'alors oublié me revint en mémoire. J'avais eu une absence, une sorte de trou de mémoire. Le temps s'était arrêté alors que je fixais mon frère pendant le concert, puis il avait reprit dans les toilettes...

Comment je m'y étais rendue, je n'en avais aucun souvenir, mais les visages inquiets qui épiaient mes réactions, m'avaient fait perdre mes moyens. Pendant un instant, j'eus l'impression d'être entourée d'inconnus, dans un lieu qui m'était tout aussi inconnu et j'étais complètement perdue. La panique m'avait alors fait hurler de peur, et ce fut par une gifle de Gino que j'avais repris mes esprits.

L'incident une fois passé, nous étions retournés dans la salle, mais à l'opposé de l'endroit où mon frère et ses amis se trouvaient. La soirée avait pu continuer pour Daven, Kimy, Fati et ses frères alors que Gino et moi nous étions mis un peu à l'écart, adossés à un mur.

Personne ne m'en avait jamais reparlé, à part Guito, qui fut mis au courant par son neveu.

Il m'avait interrogé sans détours, comme à son habitude, me poussant dans mes retranchements, eux aussi habituels, jusqu'au moment où immanquablement, j'avais craqué en lui avouant les terribles souffrances que le manque de mon frère provoquait, allant même jusqu'à lui confier les rêves que je faisais pour deux, faute de pouvoir les vivre avec lui.

Mon père de cœur avait su trouver les mots justes pour me consoler, et il avait réussi à m'apaiser, comme à chaque fois.

Cette discussion avait eu un effet bénéfique car elle avait atténué le mal qui me rongeait à l'intérieur. Un mal que je m'efforçais de cacher aux autres, mais qui jamais ne me quittait.

Et si grâce à Guito, j'avais pris conscience que de vivre avec n'était pas la solution, je ne voyais pourtant pas comment je pouvais m'en débarrasser. J'avais alors pris la décision de continuer ainsi, jusqu'à ce qu'un jour je trouve la force de l'affronter. Sauf que Gino venait de me faire réaliser que les mois avaient passé, et que je n'avais toujours pas agi !


LES AILES DE MA VIE 2  Au travers de l'autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant