CHAP 33

808 120 0
                                    

 Pendant le trajet, Guito voulut s'assurer de l'état de mon esprit. Il trouvait bizarre qu'après de tels événements, je ne paraisse pas complètement déprimée. Je ne pleurais pas, je ne m'apitoyais par sur moi-même et je ne posais pas de question sur l'avenir incertain de Gino. Non, la seule chose que j'avais souhaitée était de me rendre à Abraysie.

— Comment tu te sens ?

— J'ai mal à la joue ! lui répondis-je pas très gentiment.

— T'attends pas à des excuses de ma part, dit-il sèchement. Tu étais comme possédée. Il n'y avait pas d'autres moyens pour te remettre les idées en place.

— Tu n'as rien fait pour les empêcher. T'as même pas essayé, lui reprochai-je amère.

Il soupira, mais ne releva pas, préférant changer de sujet.

— Et ton père, comment va-t-il ?

— Bien.

— Tu vas me faire la gueule encore longtemps ? s'emporta-t-il subitement. J'y suis pour rien dans tout ce merdier !

— C'est pas moi qui te parle plus depuis plusieurs semaines. C'était pas mon idée...

— OK !

Il stoppa sans ménagement la camionnette sur le bas côté de la route et chercha quelque chose dans la poche de son pantalon. Quand il eût trouvé, il me le tendit. C'était un bout de papier chiffonné sur lequel était inscrit : «Tu me manques...» et signé de ma main...

— Pourquoi tu me montres ça ? lui demandai-je prudente.

— Pour savoir si c'est toujours d'actualité.

— Ca dépend pas de moi ! arguai-je sarcastique.

— Ni de moi !

Je compris où il voulait en venir, mais Gino resterait le seul à savoir. Quoiqu'il m'en coûtait de ne rien dévoiler à mon père de cœur...

— Je ne te dirais rien. Je peux pas, je te l'ai déjà dit !

— Alors, tout ce qui se passe en ce moment, c'est le fruit du hasard ?

Je n'aimais pas la direction que prenait la conversation, Guito insistait trop.

— Oui.

— Tu mens !

Je restai muette, sachant que mon silence lui donnait raison.

— Donc, le piège dans lequel est tombé Gino, organisé par une personne qui t'appelle par ton prénom, mais que tu prétends ne pas connaître, et ton père qui a un accident parce qu'on lui a tiré dessus, tu veux me faire croire que c'est du hasard ?

— Qui t'as dit qu'on avait tiré sur mon père ?

— Personne, je l'ai vu aux infos régionales à la télé. Ils ont montré la voiture quand ils l'ont sortie de l'eau. Je l'ai reconnue...

Mon entêtement à ne rien lui dire, le blessa profondément. Bien que sa peine se propagea sur moi, je me contentai de fixer le paysage, le visage fermé à toute discussion.

— Tu vois Lili, je viens de te donner une dernière chance d'être honnête envers moi. Tu ne l'as pas prise, ce qui prouve l'estime que tu as de moi. Ne cherche plus à me demander quoi que se soit. A partir d'aujourd'hui, tu n'existes plus pour moi. On va aller à Abraysie, ensuite je te dépose chez toi, et je ne veux plus te revoir !

J'encaissai sans rien dire, pourtant ses paroles venaient de me poignarder en plein cœur. Jump, sagement assis à mes pieds, me lécha le bout des doigts, comme pour me réconforter. Guito reprit la route, dans un silence de mort...

Il m'avait dit une fois que tout garder au fond de soi n'était pas bon. C'était comme accueillir le diable à l'intérieur de son cœur, le garder bien caché, longtemps, jusqu'au jour où il prendrait le pouvoir sur notre âme pour nous manipuler comme des pantins. Je me remettais alors d'une crise et déjà il essayait d'avoir les réponses à ses questions. Mais ce qu'il ne pouvait pas envisager un seul instant, c'était que ce diable dans mon cœur, j'en avais maintenant besoin pour accomplir la tâche la plus difficile de toute ma vie. Toutes les mauvaises émotions comme la peur, la tristesse, la haine, la frustration dues à l'injustice qui nous touchait, je les avais précieusement emmagasinées pour les conserver, les couver afin qu'elles mûrissent et me servent lors de mon ultime combat. Etre une bombe à retardement qui lorsqu'elle exploserait, ne laisserait aucune chance à sa cible.

Voilà ce qu'il me fallait être, une bombe à retardement !

Je ne répondis pas à Guito pour ne pas réduire à néant ma carapace. Si je craquais devant lui, comme il le voulait, alors, toutes mes émotions s'échapperaient et je n'aurai plus rien pour me battre parce que je serai vide. Et quels dégâts pouvaient bien faire une bombe vide ? Aucun. Lui paraître insensible et inaccessible était ma seule protection face à lui.

Mais il avait raison car intérieurement je bouillais, j'écumais de rage et de haine envers celui qui était la cause de tous nos malheurs, mais pas seulement lui. Je m'en voulais énormément de n'avoir rien vu venir, d'avoir été si négligente. J'aurais dû remarquer sa présence, le sentir, bien avant la fête foraine et nous n'en serions sûrement pas là.

Mais les regrets ne changeraient pas la donne. Maintenant, je devais réparer les dommages causés par lui, ainsi que les miens. J'avais une vague idée sur la manière d'agir, mais je comptais sur Raoul pour m'aiguiller. Il me serait de bon conseil, comme toujours...


LES AILES DE MA VIE 2  Au travers de l'autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant