CHAP 47

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 Lorsque j'arrivai en haut de la falaise, Gino était assis contre un arbre et se tenait la tête entre les mains. Mes vêtements et mon sac étaient près de lui, posés à même le sol.

J'atterris sans bruit et de mon bec, je lui touchai délicatement la jambe. Il ne m'avait ni vu, ni entendu, car complètement perdu dans ses pensées. A mon contact, il sursauta, et quand il réalisa que j'étais là, il posa sur moi un regard indescriptible dans lequel il m'était impossible d'y déceler quoique se soit. Que pensait-il à ce moment précis ? Il n'y avait que lui pour le dire.

Alors, je fis ce que jamais auparavant, je n'avais fait devant personne, excepté Raoul, que je ne considérais pas vraiment comme humain. Je repris ma forme initiale...

Debout et dans le plus simple appareil, je laissai Gino parcourir mon corps de son regard perdu. C'était comme s'il était à la recherche de quelque indice qui lui confirmerait qu'il ne rêvait pas ; que c'était bien moi qui me trouvait là, en face de lui. Et il trouva. Les cicatrices qui s'étaient gravées dans ma peau à tout jamais, me classaient dorénavant dans la catégorie des écorchés de la vie. Sur ce terrain là, j'avais rejoins Raoul et Guito, mais sans fierté aucune...

En lui tendant la main, pour qu'il se relève, je lui dis.

— Voilà, maintenant tu sais tout...

Il attesta gravement d'un signe de la tête. Il attrapa mon bras que je lui tendais toujours et se redressa, me dépassant d'une demie tête. Le coup d'œil rapide qu'il jeta sur mes cicatrices me fit réaliser qu'il souffrait vraiment de les voir. Je pris les vêtements qu'il me tendit et les enfilai. Je sortis de ma poche les chaînes que je passai autour de mon cou. Enfin redevenue moi, je refis face à Gino et voulus prendre la parole mais il m'en empêcha en mettant un doigt sur mes lèvres. Il m'emprisonna fermement dans ses bras et me serra fort. Ses mains se perdirent dans mes cheveux. Je respirai son odeur qui m'avait tant manquée.

— Je suis désolée, murmurai-je.

— De quoi ? demanda-t-il en m'embrassant sur le front.

— De t'avoir embarqué dans tout ça, d'être ce que je suis, de t'avoir autant menti... de... de... pardon pour tout Gino !

— Arrête Lili, arrête. Chut !

Il resserra un peu plus son étreinte sur moi, mais je continuai :

— Tu comprends maintenant pourquoi je me suis éloignée de toi autant de fois ? Pourquoi j'ai tout fait pour que nous deux ça se finisse ?

— Je comprends surtout que ça n'a pas servi à grand chose !

— C'est vrai. C'est à toi de décider si oui ou non, on continue ensemble. Mais tu dois bien réfléchir...

— Alors, là tout de suite, je suis pas vraiment en état de réfléchir, soupira-t-il.

— Gino, est-ce que tu réalises ce que je suis ? J'ai quinze ans et j'ai déjà tué deux hommes ! Tu dois en tenir compte. Les événements qui se sont passés ne sont qu'un échantillon de ce que tu vivras en restant avec moi. Peut-être pas dans l'immédiat, mais ça se reproduira certainement.

— Tu viens de te jeter d'une falaise et de te transformer en aigle devant moi !!! Laisse-moi déjà digérer ça ! se défendit-il.

— Gino, insistai-je, rester ensemble signifiera pour toi la fin d'une vie «normale» parce que je ne changerai jamais. Il y aura toujours l'ombre des Sanguinaires qui planera sur nous, quoi qu'on fasse, où qu'on aille ! On ne saura jamais de quoi sera fait le lendemain !

Gino se crispa et les traits de son visage se durcirent.

— Qu'est-ce que t'essayes de me faire comprendre, là ?

— Que tu as encore le choix... qu'il n'est pas trop tard.

Il posa sur moi un regard douloureux et prit mon visage entre ses mains.

— Tu m'as embarqué avec toi à l'instant où je t'ai vue la première fois. Rien depuis ne m'a fait regretter ce jour. Je ne regrette pas non plus le choix que j'ai fait par la suite parce que c'était une évidence.

— Prends le temps d'y réfléchir ; de peser le pour et le contre. Ce que tu ressens pour moi, tout comme ce que je ressens pour toi n'est pas une raison suffisante pour une décision de cette importance. Il faut voir plus loin que juste «nous». Il faut tout prendre en compte !

Je pris ma respiration avant de me lancer :

— Il faut que tu t'éloignes de moi pour prendre cette décision. Prends le temps nécessaire. Si tu as besoin de plusieurs jours, ou même de plusieurs semaines, alors j'attendrais.

— Lili, je ne veux pas perdre plus de temps ! Et je sais déjà ce que je veux !

Devant son entêtement, je ne lui laissai plus le choix.

— Gino, repris-je en m'éloignant de lui, si tu ne veux pas partir maintenant pour réfléchir, alors je ne te suivrai pas. Je dois être sûre que tu as pleinement conscience de la situation dans laquelle tu t'engages. Et si tu réalises que cette vie n'est pas pour toi, ne reviens pas. Je le comprendrais et je ne t'en voudrais pas. Ma croix est extrêmement lourde à porter, elle changera ta vie, et pas forcément dans le sens que tu souhaiterais !

Je le sentis enfin lâcher prise.

— Si je fais ce que tu me demandes, tu accepteras ma décision, quelle qu'elle soit ?

J'acquiesçai d'un signe de tête.

Il se dirigea vers le bord de la falaise et fixa l'horizon. Je le rejoignis et me blottis contre lui. Profiter de sa présence encore un peu, juste un petit peu, au cas où il choisirait de ne pas revenir...

Au bout d'un moment, il baissa ses yeux sur moi et me posa une question que je n'avais pas prévue.

— Admettons que je parte et que je décide de ne pas revenir, ça veut dire qu'on ne se reverra plus, t'es d'accord ?

— Oui.

— Alors je vais partir, mais j'ai une faveur à te demander avant.

— Je t'écoute.

— Je veux une dernière nuit...

Je restai sans voix.

— ... et je la veux ce soir !

Ma réponse fut un sourire qui montra toutes mes dents. Je le serrai encore plus fort et il fit de même.

Il m'embrassa sur le sommet du crâne puis, tout à fait innocemment, je sentis le bras qui m'encerclait, se détacher pour se diriger sur le haut de ma tête, qu'il gratouilla gentiment, comme il l'avait fais lors de ma première visite nocturne à la prison de Rosalen.

Surprise, je lui demandai :

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Un petit retour en arrière, me dit-il nostalgique.


LES AILES DE MA VIE 2  Au travers de l'autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant