CHAP 35

863 118 0
                                    

Il faisait presque jour, quand je rouvris les yeux.

Mon corps, complètement meurtri, se remettait péniblement de la pire crise qu'il n'avait jamais connu. Guito, fatigué de m'avoir veillé, mais surtout de m'avoir maintenue une bonne partie de la nuit, dormait profondément sur un fauteuil près de moi. Mon chien, couché sur mes pieds, gémit en me voyant remuer péniblement. Tout autour de nous étaient éparpillés divers objets, dont le deuxième fauteuil, qui était renversé. Ce que Daven appelait «la tempête Xynthia» avait frappé une fois de plus, et elle avait été d'une violence sans commune mesure avec ce que nous avions déjà connu...

Mon père de cœur, instinctivement se réveilla et fut soulagé de me voir mieux. Enfin mieux, c'était un grand mot car je n'allais bien ni physiquement, et encore moins moralement.

La nuit avait été longue et terrible, la pire de toute ma vie. La crise avait été si violente, que plus d'une fois j'avais supplié Guito de me tuer, que je ne voulais plus vivre dans la souffrance, je ne voulais plus faire souffrir les autres.

— Tu... m'as fait très peur, avoua-t-il, encore très éprouvé.

— Désolée, lui répondis-je sincèrement.

J'avais la voix cassée d'avoir autant hurlé mon désespoir. Mais je n'avais pas fait que hurler durant la crise, je lui avais aussi révélé une partie de mon secret. Je n'avais pas eu la force de résister aux flots de questions dont il me pressait. Dorénavant, Guito en savait plus que son neveu puisqu'il avait vu Raoul. J'avais cependant réussi à ne rien lâcher sur ma particularité.

— Tu aurais dû me parler plus tôt ! me reprocha-t-il.

— Je ne pouvais pas et ça n'aurait rien changé. Tu ne peux rien faire contre lui...

— Parce que toi, tu penses pouvoir régler tout ce bordel toute seule ? Tu peux m'expliquer comment tu comptes t'y prendre ?

— Ce n'est pas ton combat, Guito. Et je ferai ce qu'il y a à faire !

— Tu ne peux pas la jouer solo, Lili ! Ce que tu as en face de toi se sert d'armes, tend des pièges ingénieux, jusqu'à présent il nous a montré qu'il savait exactement ce qu'il faisait. Toi, tu ne fais que subir ses attaques. Mais putain, ouvre les yeux, tu ne fais pas le poids contre lui !!!

— Tu veux m'aider comment ? lâchai-je sur un ton ironique.

— Je peux nous procurer des armes.

Il avait dit «nous». Guito s'impliquait trop.

— Dans combien de temps tu peux les avoir ?

— En partant ce soir, je serais revenu après-demain au plus tard.

Cela me laissait un court laps de temps pour agir, mais il faudrait m'en contenter. En espérant que le Sanguinaire daigne refaire surface pendant l'absence de Guito...

Je fis un signe de tête entendu, puis j'ajoutai :

— Il faut faire une dernière chose avant de partir.

— Quoi ?

J'étais restée un long moment inconsciente avant que mon corps ne se réveille. Guito en avait profité pour enterrer Raoul. Il me l'avait dit quand en pleine crise, je l'avais imploré de m'emmener le voir.

— Il faut qu'on le déterre et qu'on le brûle.

L'après-midi était déjà bien entamé lorsque nous reprîmes le chemin de Mesmina. L'atmosphère dans le camion était lourde. Guito ne parlait pas. Les sourcils froncés, il était plongé dans ses pensées. Ces dernières vingt-quatre heures avaient apporté pas mal de réponses à ses questions sans pour autant résoudre entièrement «le mystère Lili». Il avait vu beaucoup de choses en seulement un jour, mais je ne savais de quelle manière il les interprétait.

Je ne lui en voulais pas d'avoir profité de mon état de faiblesse pour me faire parler, j'en étais même soulagée. Pour autant, j'étais consciente que notre relation arrivait à son terme. Une fois que tout serait fini, il faudrait nous quitter, soit parce que je partirais, soit parce que je n'aurais pas survécu. D'une façon ou d'une autre, ce serait du définitif...

C'était complètement anéantie que je rentrai. Le Sanguinaire m'avait dépouillée en partie de ce que j'avais de plus précieux, je n'étais plus entière. Pourrai-je me relever d'une pareille épreuve ? J'en doutais fortement. Il faudrait pour cela, en avoir l'envie puis la force et je ne possédais plus ni l'une, ni l'autre.

En regardant défiler la route, je me revis suivre des yeux la fumée qui avait emporté mon Aigle, haut dans le ciel.

— Va ! avais-je dis alors. Retrouve ton ciel, Raoul, retrouve ta liberté chérie. Prends soin de toi tout là-haut !

Alors que le feu achevait sa triste besogne, je m'étais adressée à mon père de cœur :

— Maintenant qu'il m'a pris mon passé et mon avenir, dis-moi quelles raisons j'ai pour avancer ?

— Il te reste le présent, m'avait-il répondu avec empathie. Il te reste ton père, et nous...

Guito était un homme bien, intègre, et ça, je le savais déjà.

Avec l'aide d'une pelle, il avait mis les cendres dans le trou qui avait abrité, le temps d'une nuit, le corps de Raoul. Il l'avait recouvert de terre qu'il avait ensuite tassée et à l'aide de son couteau qu'il avait toujours dans sa poche, il avait fabriqué une croix, en coupant deux branches et en les assemblant avec un morceau de corde.

— En attendant d'en faire une plus belle ! avait-il ajouté, satisfait de lui.

Il s'était éloigné, me laissant seule quelques instants, afin que je puisse faire mes adieux à mon Aigle, ce dont j'avais été bien incapable...

— A bientôt Raoul !

...

Nous reçûmes un accueil réservé aux plus grandes stars, lorsque nous franchîmes le portail.

Kimy me sauta dans les bras en pleurant à chaudes larmes dans mon cou.

Daven, Nellita, Stany, Sony, Donnie, Tito et même Falco... ils étaient tous là ! Tous les membres de ma famille de cœur avaient attendu notre retour. Tous, sans exception, avaient la mine grave car tous connaissaient, pour l'avoir vécu récemment, la douleur de perdre un être cher. Quand je croisai le regard de Guito, je réalisai toute la profondeur de ce qu'il avait voulu me dire. Je n'étais pas seule, quoique je vive, quoique je fasse...

Délaissant Kimy, je m'approchai de lui et me mettant sur la pointe des pieds pour atteindre son cou, je l'encerclai de mes bras.

— J'ai compris, lui avais-je soufflé dans son oreille.

Mes vêtements portaient encore les traces de Raoul. Le sang avait viré à l'orange. Mais parce qu'il était à Raoul, je ne l'avais pas nettoyé. C'était une infime partie de lui, un tout petit rien de lui, mais que je voulais garder encore un peu. Bien sûr, Guito avait vu la couleur sur mon pull, comme il avait vu que sur ma joue, le bleu avait complètement disparu. Il n'avait pourtant fait aucun commentaire. Un grand homme ce Guito...



LES AILES DE MA VIE 2  Au travers de l'autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant