CHAP 49

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Le lendemain, j'eus une grande conversation avec Nellita. Nous étions installées dans la cuisine à éplucher des pommes de terre pour le repas du midi tout en discutant de choses et d'autres, quand la discussion vira sur ma particularité et la façon dont dorénavant, j'envisageais l'avenir.

— J'ai moins peur. Je me sens prête à aller de l'avant même si je sais que ça ne sera pas facile, lui dis-je.

— C'est bien. C'est ce qu'il faut. La vie est belle, mais qui dit belle, ne veut pas forcément dire facile et sans épreuves. C'est justement les épreuves qui te le font réaliser. La vie, c'est un combat qui n'est pas égal pour tout le monde. On n'est pas tous logés à la même enseigne là-dessus, mais on a tous un devoir envers elle. Faire en sorte de mériter notre place dans ce monde. Et toi, tu la mérites cette place, comme moi ou comme n'importe qui d'autre.

— Même les Sanguinaires la méritent ?

— Bon, ok. Tu marques un point là. Disons qu'ils ne sont pas responsables de leur condition. Ils ne l'ont pas choisie. Ils sont comme ça !

— Tout comme moi...

— Oui. Demande-toi qui du lion ou de l'antilope mérite le plus de vivre ?

— Je vois où tu veux en venir...

— L'homme que tu as tué, il était dangereux pour toi, mais pas pour son fils ; il était mauvais pour toi autant qu'il était bon pour lui.

— J'ai quand même beaucoup de mal à les voir comme des hommes de valeur...

— Tu ne peux pas ! Ils sont tes ennemis naturels, comme le lion pour l'antilope, mais il y a une énorme différence entre toi et l'antilope !

— Laquelle ?

— Tu as une arme qu'elle ne possède pas !

— C'est ce que Raoul m'a dit.

— Et oui ! Et grâce à elle, tu as de quoi te défendre. Mais cela ne fait pas de toi une mauvaise personne !

— Tu en as des ennemis, toi ?

— Oui, mais c'était il y a longtemps.

— Comment t'as géré ça ?

— En fait, on était deux à vouloir Guito, me dit-elle en souriant. Et elle m'a fait toutes les crasses possibles et imaginables pour m'évincer. Pour résumer, elle m'a fait la misère...

— Et elle a perdu !

— Oui, ça n'a pas été sans mal. On s'est battues plus d'une fois. A chaque fois qu'on se croisait, pour être plus exacte.

— Et Guito, qu'est-ce qu'il en disait ?

— Au début, rien du tout. Il s'en est pas mêlé. Il nous a laissées nous débrouiller, jusqu'au jour où il s'est retrouvé coincé entre nous deux. Cette fois là, elle avait sorti un couteau et dans la bagarre, elle l'a entaillé lui, au lieu de moi. Je revois encore la peur sur son visage, quand elle s'est rendue compte de ce qu'elle avait fait. Elle en a lâché le couteau...

— Et qu'est-ce qui s'est passé après ? lui demandai-je, désireuse de connaître la suite.

— Elle s'est pitoyablement excusée, mais ça n'a pas suffi, il l'a jetée définitivement. Je l'ai soigné, et c'est de là que tout a commencé.

— C'est beau ! dis-je songeuse. Finalement, elle a bien fait de faire ça, même si Guito a été blessé.

— Crois-moi qu'il y a trouvé son compte aussi, celui-là. Dès qu'il avait un pet de travers, il venait me voir et me faisait croire qu'il était à l'article de la mort. Et moi, je n'y voyais que du feu et je m'appliquais à le soigner du mieux que je le pouvais... Ah, qu'est-ce qu'on peut-être abruti quand on est amoureux !

— T'as raison, on est complètement à l'ouest dans les débuts ! lançai-je en riant.

Nellita approuva et se joignit à ma bonne humeur. Puis, redevenant soudainement sérieuse, je lui demandai, avec une pointe d'appréhension dans la voix.

— Qu'est-ce que tu crois qu'il va faire ?

A mon air anxieux, elle comprit que je parlais de Gino.

— Je sais pas.

Elle s'arrêta d'éplucher la pomme de terre qu'elle tenait dans sa main et posant gravement ses yeux sur moi, elle ajouta.

— Toi, qu'est-ce tu veux ?

Je soupirai.

— J'veux qu'il revienne, mais s'il lui arrivait malheur à cause de moi, je ne m'en remettrais pas et je ne me le pardonnerais jamais. Et puis je crains qu'un jour, il regrette d'avoir fait ce choix, qu'il ait l'impression d'être passé à côté de sa vie. Je me sens forte pour plein de choses, mais pas pour supporter le poids d'une mauvaise décision de sa part. Je préfère le savoir loin de moi mais heureux, qu'avec moi et malheureux.

— Tu lui as tout bien expliqué ?

— Oui.

— Alors, tu n'as pas à t'inquiéter ! S'il revient, c'est qu'il sera sûr de ce qu'il veut et de ce qu'il fait.

— Guito ne t'a rien dit sur ses intentions ?

— Non, ma belle. Pas un mot sur Gino.

Je soupirai à nouveau. L'attente commençait à me peser sérieusement.

— Ni quand il revient ?

Elle secoua la tête, désolée.

— Dans pas longtemps je suppose. Il doit reprendre le boulot la semaine prochaine.

— Il aura gaspillé toutes ses vacances à cause de moi, constatai-je amère.

— Plus une semaine de congés sans soldes.

— Tu vois ce que je vous oblige à faire ! Une semaine de salaire en moins à la fin du mois, ça se sent et vous en avez besoin !

— T'en fais pas pour ça, Lili. Guito va ramener des sous en revenant. Il n'a pas passé tout ce temps à se tourner les pouces.

— Comment ça ?

— Oh, il a trouvé des petits boulots sur place. C'est un homme plein de ressources tu sais.

— Oui, je le sais.

Tito surgit à la porte d'entrée restée grand ouverte et beugla à sa mère.

— MAN ! J'VEUX DE LA GROSS' NADINE !

Nellita, sous le coup de la surprise, porta sa main au cœur.

— Mon seigneur, souffla-t-elle. Ils vont finir par me tuer dans cette maison !

Elle sermonna son fils, qui n'en ayant rien à faire, insista.

— J'veux des « wesh mon pote » aussi !

— Lili, donne-lui ce qu'il veut, quand il aura dit s'il te plaît, dit-elle en regardant son fils, avant que je m'énerve après lui !

Je m'exécutai en riant et tout en préparant la boisson de Tito, je réalisai que si pour moi, tout avait changé dans ma vie et que demain ne serait plus jamais comme hier, il y en avait quelques uns pour qui tout était, et resterait pareil. Lui tendant le verre et les gâteaux, il me fit un grand sourire et lança, tout naturellement, deux mots qu'il ne m'avait jamais dits auparavant et qui me touchèrent agréablement.

— Merci la cousine !

Nellita, dépassée par la vitesse de compréhension de son fils, leva les yeux au ciel et marmonna pour elle, plus que pour moi.

— Quand j'le dis que c'est pas idiot un enfant. Ca comprend tout sans qu'on explique rien !

Interrompues dans notre conversation, nous reprîmes la préparation du repas, alors que Tito, lui, repartait tranquillement vaquer à ses occupations.

LES AILES DE MA VIE 2  Au travers de l'autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant