LES AILES DE MA VIE 2 Au travers de l'autre

CHAP 27

Beaucoup de choses se bousculaient dans ma tête. Mais malgré l'urgence de la situation, une seule l'emportait sur toutes les autres. J'avais un besoin absolu de Gino.

J'ignorais de quoi demain serait fait, ni même s'il y en aurait un pour moi. Cette peur panique de l'après, du futur, me terrorisait inexorablement car je savais que quoi qu'il advienne par la suite, il y aurait un vainqueur et un vaincu et ne pas connaître la place où je me situerais dans si peu de temps, me tétanisait.

Je marchai sur le long chemin qui menait au portail des Dhoms, Jump à mes côtés, et replongeais dans les plus beaux moments de ma vie, laissant de côté ceux qui, dans l'instant, me tourmentaient, afin de leurs donner un sens crucial, un sens fondamental. Les faire devenir indispensables, nécessaires, essentiels, voir exceptionnels, me rattacher à eux pour trouver la force et le courage d'affronter un futur obscur et imminent.

Le plus beau, le plus magique, le plus ancré en moi, était incontestablement ma rencontre avec Raoul.

Parce qu'il était comme moi, mi-homme, mi-aigle ; parce que le même sang coulait dans nos veines ; parce qu'il était le seul à me connaître parfaitement ; et parce que nous partagions le même secret. Nous étions si étroitement liés, si proche l'un de l'autre, que pas une fois nous ne nous étions disputés.

C'était avec lui que j'avais traversé toutes les étapes de mon initiation, si difficiles fussent-elles ; avec lui que j'avais atteint l'ultime étape de cette initiation : la transformation ; avec lui que j'avais découvert l'infini du ciel, et tout ce qui régissait ma vie d'Aigle. Sans lui, sans sa patience, sans sa ténacité, j'aurais connu l'enfer...

Puis il y a eu Guito.

Cet homme droit, fier, charismatique et d'une si grande générosité, avait été l'épaule sur laquelle j'avais pu me reposer tant de fois. Combien de crises avais-je fait devant lui ? Difficile à dire. Mais toujours, il était resté prés de moi, sans jamais fléchir devant la violence de certains de mes réveils. Pas une fois, il n'avait eu peur de ce que j'étais. Pourtant, il n'avait pas hésité à me rejeter quand il avait compris que je ne lui dévoilerais pas mon secret. Il s'était senti trahi et blessé dans son amour propre. Le savoir si loin de moi alors que nous étions physiquement proches, me faisait beaucoup souffrir. Mais je l'avais accepté, comme un juste retour des choses de la part de mon père de cœur...

Passé le portail, je me dirigeai vers la maison. La porte était grande ouverte. Je jetai un petit coup d'œil à l'intérieur et vis Nellita qui buvait un café.

— Déjà debout ? me dit-elle à moitié réveillée. Viens t'asseoir !

J'entrai et m'assis en face d'elle. Elle me proposa un petit déjeuner que j'acceptai de bon cœur. En se levant, elle aperçut Jump qui faisait la fête à ses compères.

— Qu'est-ce qu'il fait là celui-là ? T'as été le chercher ?

— J'ai pas dormi là, cette nuit. Je viens de chez moi.

— Y'a de l'eau dans le gaz avec Gino ? hasarda-t-elle.

— Plutôt un froid.

Je minimisai intentionnellement. Parler de mes histoires de cœur avec une autre personne que Kimy me paraissait assez délicat.

— Bah ! Ca passera. Vous en verrez d'autres, tu peux me croire, ma belle.

Avoir une conversation banale avec elle me fit du bien, même si je trouvai cela étrange, dans un moment pareil.

Nellita faisait elle aussi partie de mes moments de bonheurs. Elle avait secondé Guito lors de mes crises, en fredonnant pour m'apaiser, en me massant, pour soulager mon corps meurtri par les douleurs des réveils, en me nourrissant à la petite cuillère, quand mon ventre criait famine mais que je ne pouvais pas bouger. Elle m'avait maternée comme elle le faisait pour ses propres enfants. Sa joie, sa bonne humeur, sa gentillesse m'avaient beaucoup apporté. Et elle aussi, je l'aimais beaucoup...