CHAP 6

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Seule dans la chambre laissée vide par mon frère, je préparai mon escapade. Ma fenêtre donnant sur la rue n'était pas idéale quant à la discrétion, contrairement à celle de Celso qui offrait une belle vue sur notre jardin, mais surtout, sans aucun vis-à-vis.

Je me déshabillai, enlevai les chaînes que Raoul et Gino m'avaient offertes et que je ne quittais que lors de mes transformations, ainsi que ma bague et ouvrit la fenêtre sur le rebord de laquelle je grimpai. J'humai les agréables senteurs qui imprégnaient l'air et m'en emplis les poumons, puis je sautai, laissant la magie opérer. Je n'atteignis pas le sol et m'envolai en toute quiétude. Alors que je m'éloignai de la maison, la voix de mon père raisonna dans ma tête :

Sois très prudente ma fille !

Ne t'inquiète pas papa, je reviens vite.

Je pris toutes les précautions nécessaires pour que l'Aigle passe inaperçu. Personne ne devait voir cette créature qui dans l'ombre de la nuit, survolait Mesmina. Je nous fis éviter consciencieusement les endroits éclairés par les lampadaires. Ni vu ni connu, je nous dirigeai vers le terrain des Dhoms que nous contournâmes pour arriver par le bois. Nous nous perchâmes sur une branche bien garnie de feuilles et je pus observer Daven, Falco et Gino qui installés derrière le garage, étaient en grande discussion. Je n'étais pas proche d'eux, mais grâce à la vue et à l'ouïe surdéveloppées de mon hôte, j'avais vraiment l'impression d'être assise parmi eux.

Daven était en proie au chagrin. Il n'acceptait toujours pas le proche et pourtant inévitable, départ de la grand-mère. Falco et Gino tentaient d'atténuer ses souffrances en lui expliquant que la vie était ainsi faite ; que tout avait toujours une fin...

Mais Daven en avait gros sur le cœur et même s'il ne pleurait pas, il ne pouvait cacher sa peine tellement elle était inscrite sur son visage.

— Elle a toujours été là pour nous. Elle est une deuxième mère. C'est elle qui s'est occupée de nous quand on est venus s'installer à Mesmina, quand le père construisait la baraque et que la mère était fatiguée parce qu'elle était enceinte de Sony d'abord, puis de Stan. Tu t'en rappelles frérot ?

Falco hocha la tête, pensivement.

— C'est elle qui nous emmenait à l'école ; qui venait nous chercher ; qui nous faisait goûter ; qui nous couchait...

— Et qui nous foutait des raclées, ajouta en souriant Falco. Tu te rappelles quand elle nous coursait dans le terrain avec le sabot ? On l'a fait enrager quand même, la pauvre...

— Oui, je m'en rappelle, acquiesça Daven nostalgique. Mes cuisses aussi s'en rappellent...

— Et les miennes ! Faut reconnaître qu'on a été vache avec elle ! admit Falco.

— Ouais, des vraies saloperies. Je lui ai même pas dit merci pour ce qu'elle a fait pour nous.

— Tu le peux encore, lui dit Gino, mais tarde pas trop. C'est pas quand elle sera plus là que tu pourras le faire !

Cette phrase m'interpella. Il n'y avait pas si longtemps, il me l'avait dite aussi lorsque nous parlions de mon frère. Je compris le message qu'il essayait de nous faire passer. Il n'avait sûrement pas dû tout dire à son père avant que celui-ci ne décède. A son insistance sur le sujet, je supposai qu'il regrettait de ne pas l'avoir fait...

Cette réflexion me fit penser avec tristesse à Raoul. Bientôt lui aussi s'en irait. Si techniquement, il n'avait plus grand-chose à m'apporter, il en allait bien autrement sentimentalement. Vers qui me tourner lorsqu'il ne sera plus là ? Qui me conseillera lorsque je douterai ? Je ressentis soudain le besoin de le voir mais j'avais promis à mon père, quand je lui avais expliqué l'urgence de me transformer le soir même, de ne pas jouer les héroïnes et de ne pas m'attarder. Mais était-ce vraiment risquer de m'éloigner de Mesmina ? Je ne le pensais pas, surtout qu'à vol d'oiseau, Abraysie n'était pas si loin. Je pris ma décision et nous nous envolâmes pour rejoindre Raoul.

LES AILES DE MA VIE 2  Au travers de l'autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant