CHAP 30

916 120 7
                                    

Laissant Gino sur le parking, je réfléchissais à la façon dont j'allais m'y prendre pour lui faire faux bond. J'avais bien une idée en tête, mais elle risquait de le mettre en colère, ce qui n'était pas vraiment le moment. N'en trouvant pas d'autre, j'espérais que mon père accepterait le petit coup de pouce que j'allais lui demander.

Tout en avançant dans le hall, je procédai à un rapide repérage des lieux. Je n'y étais jamais venue et je ne voulais pas me perdre afin de ne pas faire tomber mon plan à l'eau. Pour accéder aux étages, il y avait l'ascenseur ou l'escalier. C'était exactement ce dont j'avais besoin. Je demandai à la standardiste la chambre de mon père et pris l'ascenseur en suivant ses indications.

Sa chambre était ouverte, je toquai quand même pour lui signaler ma présence. Il ne dormait pas et avait la mine soucieuse. Il était dans un sale état, il faisait vraiment peine à voir.

— Comment te sens-tu ? dis-je en m'approchant de son lit.

— J'ai l'impression d'être en kit, si tu veux tout savoir.

— Je peux essayer de te remonter, t'as un plan de ton corps ?

Il sourit légèrement, preuve qu'il n'avait pas perdu son sens de l'humour, c'était toujours ça de pris.

— Oui, il est quelque part dans l'eau avec mon portable et mes papiers d'identité... Dis-moi plutôt comment ça s'est passé avec Gino.

Je lui expliquai notre conversation, mais aussi les doutes qui m'avaient envahie depuis qu'il savait. Que j'avais peur d'avoir fait une erreur en lui révélant une partie de la vérité, peur de le perdre s'il décidait de partir, peur de le perdre s'il décidait de rester, peur d'affronter l'avenir avec ou sans lui...

— Et bien, on peut dire que t'es complètement accro à lui ! Et il est où maintenant ?

— Il attend dans la voiture.

— Donc il n'est pas parti. C'est plutôt bon signe, non ?

— J'en sais rien, soupirai-je. On va en reparler ce soir.

Mon père approuva.

— Parle moi d'hier soir, tout à l'heure, tu as dit que tu étais sur tes gardes...

Je lui narrai l'histoire et son verdict fut le même que celui de Raoul :

— C'est pas bon du tout !

— Raoul pense qu'il faut que j'agisse sans attendre. Le problème c'est qu'il n'est plus chez lui et que je n'ai aucune idée de l'endroit où il peut être. Il faut que je retourne à son appartement ce soir, pour voir s'il y est repassé. J'ai besoin de toi pour y aller.

— Qu'est-ce que je peux faire, coincé sur un lit d'hôpital ? dit-il navré.

Je lui expliquai mon idée. Il accepta, sans hésiter. J'envoyai alors un texto à Gino lui demandant de me retrouver dans la chambre de mon père. J'attendis sa réponse qui, comme je l'espérais fut positive, puis embrassai mon père.

— Je t'appelle ce soir pour te tenir au courant et je reviens te voir demain.

— Fait bien attention à toi, me dit-il angoissé.

Je partis sans attendre et pris la direction des escaliers. Je me postai discrètement près de ceux-ci, surveillant l'arrivée de Gino. Quand il sortit de l'ascenseur, je m'engouffrai rapidement dans l'escalier et dévalai les marches, deux par deux. Ce ne fut qu'une fois dehors que je ralentis la cadence et montai dans le bus pour rentrer chez moi.

Bien que la maison était telle que je l'avais laissée le matin même, elle m'apparut étrangement vide. Mon père à l'hôpital, mon chien chez les Dhoms et moi qui ne faisais que passer depuis quelques temps, j'avais la désagréable mais très nette sensation, que la direction que prenait ma vie, m'échappait totalement. Comme je ne pouvais rien envisager de faire avant la tombée de la nuit, j'en profitai pour faire un peu de rangement, histoire de créer un semblant d'animation dans la maison. Je mangeai, me douchai puis m'allongeai sur mon lit pour me reposer avant de repartir. J'avais au moins deux heures devant moi avant le coucher du soleil, je pouvais bien m'assoupir un peu.

Les yeux à peine fermés, mon portable sonna. Mon père me prévint que Gino venait de quitter l'hôpital et qu'il risquait très certainement de faire un arrêt chez nous. Il m'assura aussi qu'ils avaient bien discutés tous les deux et qu'il n'avait pas le temps de m'en dire plus car l'infirmière attendait pour lui faire les soins.

— C'est un type bien ce Gino, il me plaît de plus en plus !

Je souris de l'entendre, mais ce fut avec un pincement au cœur que je lui répondis :

— Je suis entourée que de personnes bien...

— Oublie pas de m'appeler dès que tu seras rentrée, peu importe l'heure !

— Promis !

Je raccrochai et me rallongeai. Je gardai les yeux ouverts jusqu'à ce que la sonnette de l'entrée retentisse dans toute la maison. Je ne bougeai pas, sachant que c'était Gino qui tentait de me trouver. Je ne pouvais pas le voir tant que je n'avais pas fait ce que j'avais à faire bien que j'en mourais d'envie. Je fermai les yeux et tentai d'oublier qu'il était à ma porte, à attendre que je lui ouvre...

Je me réveillai dans la nuit noire. J'avais dormi plus que ce que j'avais prévu et je m'activai à préparer mon escapade. Je vidai de son contenu mon sac de sport pour y mettre à la place un survêtement, des baskets, mon portable. Parce que je ne savais pas dans quoi je m'embarquais, il me fallait prévoir, pour le cas où je serais blessée et que je ne pourrais plus voler, de quoi m'habiller, le survêtement étant le plus simple à enfiler, et de quoi prévenir Gino si besoin était. J'étais malgré tout consciente, que peut-être, je serais dans l'incapacité la plus totale de me servir de tout cela.

Fin prête, je quittai la maison, non pas par la porte, comme une personne normale, mais plutôt par la fenêtre de la chambre de mon frère, comme tout bon volatile qui se respectait.

Le trajet se passa sans encombre. Je me posai au même endroit que la nuit précédente et guettai l'appartement du Sanguinaire. J'attendis longtemps, très longtemps. Mais il ne vint pas. Aucun signe de vie dans l'appartement. Même son odeur agressive s'était atténuée. Comme s'il n'était plus là.

Je repartis, préoccupée par cette désertion. Que voulait-elle dire ?

D'après Raoul, un Sanguinaire ne lâchait pas sa proie lorsqu'il la trouvait, rendant impossible toute fuite et par conséquent, la confrontation inévitable.

Que se passait-il ? Mais surtout, où était-il ? Quelle était la suite de son plan déjà si machiavélique ?

Je n'avais pas de réponse en franchissant la fenêtre de la chambre de Celso et cela était bien frustrant car je ne pouvais rien envisager, rien prévoir. Il me fallait attendre qu'il revienne, mais dans combien de temps ?

J'eus dans l'idée de reprendre mon envol en direction d'Abraysie, afin de solliciter l'aide de Raoul, mais je changeai d'avis en voyant l'heure sur le cadran du réveil de mon frère. Il était plus de trois heures du matin et l'envie d'être près de Gino fut la plus forte. Je me rhabillai, rassurai mon père sans partir dans les détails, lui disant que je lui expliquerai quand je le verrai, puis je sortis de la maison.

Je pris le chemin qui menait chez les Dhoms, hantée par le Sanguinaire. Enfin plutôt, par son absence. Guito n'aimait pas le silence radio sur les meurtres de la fête foraine, tout comme moi je n'aimais pas celui imposé par le Sanguinaire. Quelque chose se tramait derrière nous. Je le ressentais, au plus profond de moi et cela me terrifiait.

LES AILES DE MA VIE 2  Au travers de l'autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant