CHAP 23

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Pendant que nous marchions, Kimy leur racontait son exploit du jour, ce qui fit bien rire le frère et la sœur et alors que nous nous dirigions vers un stand à confiseries de toutes sortes, qui servait aussi des boissons et avait une terrasse pour nous installer, Amin m'attira à l'écart.

— Laisse-les entre filles, elles ont plein de choses à se dire ! me dit-il mystérieux.

— Eh ! Moi aussi, je suis une fille ! m'écriai-je, encore surprise de son geste.

— C'est difficile à croire après ce que je viens de voir ! ajouta-t-il moqueur.

Ses yeux me suppliaient alors qu'il glissa sa main dans la mienne. Gênée, je la retirai vivement et baissai la tête pour éviter son regard.

— Amin, c'est pas une bonne idée...

Je ne pus finir ma phrase. D'intenses frissons me parcoururent le dos et me frigorifièrent si rapidement que j'en eus le souffle coupé. La bouche ouverte, je m'efforçai de reprendre ma respiration. Amin fut tout aussi surpris que moi, sinon plus, et affolé, il m'empoigna fermement les épaules et me secoua. Il me parlait, mais je n'entendais déjà plus sa voix, tout comme je ne le voyais plus. Je me trouvai étendue sur un chemin de terre de campagne à contempler un oiseau, un magnifique oiseau. Je revivais le jour de ma rencontre avec mon Aigle et je le revis qui attaquait l'homme, le Sanguinaire.

Puis, je recouvrais mes esprits et je compris ce qu'il m'arrivait. Ce que je ressentais au plus profond de moi était ce que je redoutais depuis longtemps, ce contre quoi Raoul m'avait défendu, le jour de notre rencontre. Je ressentais la présence d'un Sanguinaire, ici, près de moi, près de ceux que j'aimais !

En alerte, mes sens se réveillèrent et se décuplèrent. La bête qui sommeillait en moi prit possession de mon corps et me dicta la conduite à tenir. Je ne me transformerai pas, je le savais. Pour changer de forme, il aurait fallu que je le veuille ou bien que la peur s'empare de moi. Mais ce n'était pas le cas, je n'avais absolument pas peur et je laissais l'instinct animal me guider.

Levant la tête, je fermai les yeux pour me concentrer afin de laisser l'Aigle analyser toutes les odeurs que je respirais pour ne garder en mémoire que celle du Sanguinaire. Alors seulement il pourrait me diriger dans la bonne direction.

Où j'allais ? Je ne le sus pas. Tout comme j'ignorai ce qui se passerait quand je trouverais ce que je cherchais. La seule chose dont j'étais sûre était le danger imminent que je ressentais autour de moi et le besoin pressant de l'éloigner, voir de le supprimer.

Quand l'odeur se précisa, je partis si vite qu'Amin n'eut pas le temps de me retenir et je comptai sur ma rapidité pour le semer. Personne ne devait être mêlé à ce qui allait venir.

La piste du Sanguinaire me fit traverser la foire puis le grand parking attenant à celle-ci. Je passai devant la voiture de Guito mais ne m'y attardai pas. Plus j'approchais du fond du parking, où stationnaient les poids lourds des forains, plus des odeurs que je connaissais se mêlaient à celle du Sanguinaire.

M'approchant du premier camion, je m'arrêtai et pris le temps d'évaluer la situation. Il n'y avait plus aucun doute possible. Gino, Daven, Falco et Younes se trouvaient à proximité du Sanguinaire. Je me concentrai à nouveau afin de percevoir des bribes de voix, qui pourraient me certifier, et me rassurer dans le même temps, que tout allait bien pour eux.

Dans le silence du parking, je repérai sans mal les voix des quatre garçons mais j'en distinguai aussi trois autres. Ils n'étaient pas loin de moi, tout au plus quelques camions nous séparaient.

Les écoutants, je m'avançai vers eux, à pas de loup, quand l'horrible vérité me percuta de plein fouet. L'odeur du Sanguinaire était mélangée à celles des garçons. Ils étaient ensemble !

La panique me saisit si vite que je perdis mon assurance. Prise au dépourvu, la peur me déstabilisa et me laissa dans un flou absolu. Que faire ?

Le pire scénario, celui que j'avais si souvent redouté et mis de côté pour vivre une vie normale, se produisait à quelques pas de moi. Quelle imbécile je faisais ! Je me maudissais d'avoir fait preuve de tant d'imprudence et de négligence envers ceux que je chérissais.

Comment faire pour les sortir de là ? Je n'en avais aucune idée et plus je réfléchissais, plus je m'embrouillais. D'autant plus que l'Aigle voulait attaquer et je dus me battre contre lui pour ne pas lui céder la place.

Je m'approchai un peu plus de l'endroit où avait lieu la petite réunion afin d'analyser la situation. Peut-être trouverai-je une issue à ce cauchemar ? Si seulement Raoul était là, il saurait quoi faire, alors que moi, j'étais dans un brouillard à couper au couteau.

Postée près d'un camion, au niveau de son énorme roue, j'observais, horrifiée par ce que je voyais, les faits et gestes de chacun. Gino tenait précautionneusement un révolver à la main. Il l'examinait sous tous ses angles. Puis, les bras bien tendus, fit mine de viser droit devant lui. Satisfait par la sensation que lui avait procuré ce geste, il rendit le révolver à celui que je supposai en être le propriétaire et que je reconnus immédiatement. Il n'était autre qu'un des deux garçons que j'avais frappé il y avait quelques mois, lors du run sauvage et que j'avais aussi croisé plus récemment, avec mon frère, alors que nous accompagnions Daven à son concert. Il n'était pas seul, l'autre garçon était là, lui aussi...

— Belle pièce ! attesta Gino.

— Bon c'est bien tout ça, mais nous, on n'est pas là pour des armes ! Fais voir ce que tu nous as emmené d'autre ?

Daven venait de s'adresser à la seule personne que je ne voyais pas car elle était dissimulée par un petit bâtiment devant lequel ils étaient tous réunis. Mais sans savoir qui il était ni à quoi il ressemblait, je savais cependant CE qu'il était.

Il sortit de sa cachette et fit quelques pas vers Daven. Il paraissait plus âgé que nous et devait avoir la vingtaine révolue.

— C'est vrai, j'ai autre chose. Mais rien ne presse...

Ces quelques mots me firent froid dans le dos et me mirent mal à l'aise car ils avaient été prononcés avec beaucoup d'assurance, alors que moi, j'en étais complètement dépourvue...

— Ben pour toi, peut-être, mais nous on est un peu pressé. On est attendu ! déclara Daven.

— Par qui ? Vos p'tites copines ? interrogea le Sanguinaire.

— Je voudrais pas être impoli, reprit Daven qui commençait à s'impatienter, mais on a beaucoup de choses à faire après, donc si on pouvait accélérer un peu le rythme...

— Très bien, j'ai compris le message, le coupa fermement le Sanguinaire. Mais avant de continuer, on va faire preuve de politesse et accueillir comme il se doit une invitée surprise !

Puis haussant la voix, il ajouta :

— ALLEZ ! SORS DE TA CACHETTE LILI !



LES AILES DE MA VIE 2  Au travers de l'autreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant