Tonnerre ! - making of

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J'ai voulu, dans « Tonnerre ! », montrer l'immense jubilation des avènements terribles, le plaisir des destructions vastes et éhontées, le goût des nivellements furieux et colossaux : apocalypses et catastrophes, déluges inexorables, cataclysmes vengeurs, arrêts supérieurs qui tombent d'un coup et balayent d'une seule volonté des continents et des peuples, en somme tous les défoulements sans scrupule de divinités imaginaires par exemple grecques, romaines et juives qui, spontanément, frappent, corrigent et détruisent quand elles estiment avoir assez expliqué – car enfin, n'en vient-on pas tôt ou tard à haïr la foule imbécile, insensée, inconsciente, dérisoire, dont la végétation veule et impie se résume par ce mot : humanité ?

Ce poème, on l'a compris, s'inscrit lui aussi, si l'on veut classer, dans ma longue série des « textes d'orgueil ».

Et pourtant, ne s'agit-il pas encore – cette pièce même contre l'homme – d'un morceau profondément humain, si propre à relater ce que nous ressentons vraiment, ce que nous tâchons de nous dissimuler en nous-mêmes, nous qui, vous qui ! feignez perpétuellement d'être quelqu'un d'autre ?

Justifier, tolérer, excuser, et même doucement corriger : toute cette patience bonasse trouve inévitablement en nous un point d'exaspération, et ce n'est en vérité que parce que nos forces sont limitées et notre puissance circonscrite que nous sommes plutôt contraints à des représentations mentales que décidés à des actes durs, libérateurs et irrémédiables : toutes les « bontés » notamment chrétiennes viennent de ce que nous sommes esclaves de nos moyens physiques ou légaux, alors nous nous faisons une gloire, en manière d'hypocrite célébration, de nos inactions, comme s'il s'agissait de grâces que nous accordons, de positives tendresses, de rémissions prises en conscience. Ainsi nous figurons-nous « élevés », ainsi prétendons-nous résister à la tentation de dureté, et cette résistance s'apparente à un au-delà qui nous flatte : nous nous sommes disciplinés à ne pas détruire comme nous y tendions pourtant de tout notre cœur.

Mais en fait, nous ne gracions pas, jamais nous n'accordons notre pitié ou notre pardon, jamais nous ne résistons à rien : car pour gracier, il faut d'abord le pouvoir de condamner et de punir, et ce pouvoir, nous y avons renoncé depuis longtemps, nous le supposons seulement présent en nous, à l'état de capacité, mais cette capacité est bien plus supposée qu'effective – pareillement un homme qui souffre de vertige peut-il se croire en mesure d'escalader une montagne.

Nous ignorons tout bonnement ce dont nous sommes inaptes en matière de puissance : un homme dispose d'un bras et d'un poing, alors la vue de cette conformation l'incite à penser qu'il est capable de frapper, cependant il oublie que pour n'importe quelle action physique il faut l'exercice d'une volonté libre, de sorte que son habileté est tout théorique, et il ne frappe jamais – il est tout à fait comme un robot au vaste potentiel mais programmé dans une certaine direction, et le robot sert le thé, construit des objets, tient une conversation, mais il ne blesse personne.

Presque nul homme aujourd'hui n'est disposé à une colère véritable, toutes ses fureurs sont aussitôt rentrées, c'est ce qui rend ses indulgences si piètres, si petites, si misérables : il est indulgent seulement parce qu'il ne sait pas faire autre chose, parce qu'on lui a inculqué la répugnance de toutes les violences depuis tout petit – eh ! il ne faut pas écraser les bêtes ! Et on appelle cela générosité, bonté, grandeur ! et il faudrait que toute cette aveugle et contrainte mansuétude servît d'exemple de conduite – quoi donc ? une prison pour exemple !

Mais... être généreux pour soi-même ? Ne pas se nier et se délivrer des forces qui vous compriment et vous exaspèrent. Admettre l'anéantissement des faibles, des importuns, des corrupteurs, de tout ce qui vous réduit sans légitimité. Pensez la mort d'autrui non sans soulagement, et tirer de la satisfaction des combats aussi bien que des exterminations. Avoir le goût des triomphes sanglants, symboliques ou non, en particulier contre des insignifiances. Et surtout, ne rien se cacher de pareils désirs, de pareilles volontés, ni des plaisirs augurés ; se savoir, enfin, tel qu'on est – étant homme...

À partOù les histoires vivent. Découvrez maintenant