Androgyne - making of

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Je déplore et je chante une version de la femme actuelle – ô regret et élégie ! –, et jusqu'à certaines de ses inconsciences factices et sociales. Et je songe, cette fois plus que d'ordinaire : comme il me sera encore difficile et périlleux de faire entendre le contenu de cette plainte ! Les foules ont leur raison aveugle et leurs verdicts figés, et la femme, à ce qu'il paraît, à ce qui est devenu irréfutablement admis, a beaucoup gagné d'époque en époque. On oublie qu'il est des évolutions qui abîment, et qu'une corruption, même provisoire, est aussi une forme d'évolution.

Je ne réclame pas contre la libération des femmes ni contre le progrès, jamais, ce serait me comprendre tout de travers et peut-être exprès, mais je considère avec désolation cette loi universelle selon laquelle, en notre espèce, une liberté nouvelle est toujours d'abord utilisée à mauvais escient.

Comment faire entendre cette corruption et ce dévoiement, ainsi que la façon dont des mœurs inédites ont altéré et atténué la femme comme dans mon poème ?

Peut-être en décrivant la femme historique, la femme essentielle, la femme du passé. Il y a un fondement en toute chose et en tout être, et, bien souvent, lorsque ce fondement s'atténue ou disparaît, cette chose ou cet être ne mérite plus de conserver son appellation d'origine. Il naît alors une grande confusion de cette transformation, de ce travestissement, mais une confusion peut être positive encore.

Voilà, il est de nouveau temps de parler sans ambages : depuis toujours, la femme aspire surtout à la protection – c'est une caractéristique intrinsèque et première de sa personnalité. La méconnaître, c'est ignorer ce que furent les femmes, au moins stéréotypiquement si l'on préfère – mais je ne prétends pas qu'il s'agisse là d'une caricature, bien au contraire : à considérer avec attention cette idée, on y découvre des finesses insoupçonnées et fécondes pour la compréhension du genre humain. Généralement donc, l'identité de la femme s'est construite sur le désir de protection, comme l'identité de l'homme s'est bâtie sur la volonté de puissance.

Je ne prétends pas que ces attributs soient légitimes ou nécessaires, pas même qu'ils sont universels. La femme peut s'être spontanément senti une faiblesse, ou bien l'homme avoir délibérément produit cette faiblesse ; cette faiblesse peut ne pas exister ou en moindre influence chez certaines femmes de nos sociétés, ou bien quelque société que j'ignore peut avoir contribué à rendre cette faiblesse insensible ou nulle. Je ne réalise qu'un portrait général comme d'habitude, par lequel on entend mieux après coup l'aspect exceptionnel des écarts à la norme. Je ne détermine pas comment l'homme ou la femme doit être. Je ne moralise point.

La recherche d'une protection suffit à expliquer presque toutes les tendances de la femme, comme la recherche de puissance inclut la plupart des caractères de l'homme.

Par recherche de protection, il faut entendre la conception profonde selon laquelle la femme suppose que sa personne seule ne suffira pas à lui assurer sécurité, subsistance et confort, et toutes les astuces grâce auxquelles elle tâche à pallier ce manque au moyen des hommes : en ce sens, la recherche de protection se définit ici surtout comme la recherche d'un protecteur.

Je parle encore de la femme historique si l'on veut se rassurer, pourtant cela n'inclut pas seulement celle du passé : un reste atavique subsiste en nous de ce que des milliers d'années ont distillé dans nos modes de vie. Les tempéraments changent peu à peu, mais un taureau déchaîné n'engendre pas soudain une progéniture douceâtre et molle. L'homme aspire toujours ardemment aux combats de supériorité par nature innée ou socialement acquise et héréditaire, et la femme conserve encore quelque chose de son goût pour une avantageuse dépendance, quoi qu'elle prétende hautement.

À partOù les histoires vivent. Découvrez maintenant