Le Retour de Salomon - making of

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Notre justice contemporaine est faillie. C'est un constat affligeant, consternant, révoltant pour moi. Ceci explique largement le lot quotidien des violences françaises et l'état de délabrement moral de notre société.

Tenez, rien que la semaine passée : « Reprise du procès de Georges Tron, reporté d'environ deux ans. La défense avait fait valoir, à l'époque, que l'affaire ne pouvait se tenir convenablement alors que le cas Weinstein, en plein battage médiatique, risquait d'exercer tant d'influence sur les esprits ».

Ou encore : « Début d'un procès, longtemps après le drame : un délinquant récidiviste, pour fêter le retrait de son bracelet judiciaire, avait entraîné un ami en voiture. Sous l'emprise de l'alcool et de stupéfiants, le conducteur, qui roulait au-delà de la vitesse légale, avait franchi un feu, embouti un autre véhicule qui avait percuté deux piétons : l'une était morte sur le coup, l'autre, ayant perdu provisoirement l'usage de ses jambes, avait été contrainte à une longue et pénible rééducation. Le chauffard ne s'étant pas arrêté, la police ne l'avait appréhendé que plus tard. Le procureur a requis une peine de... huit ans d'emprisonnement. »

On a oublié ce que c'est que la justice, à quoi elle sert. Notre soupe appauvrie n'y a plus rien à voir : c'est de l'eau, inconsistante, sans grand apport calorique pour le corps social. Nous sommes devenus complaisants des délits et des criminels – j'aimerais ajouter : sans nous en apercevoir, mais je ne puis.

Tout d'abord, on a institué de force, au moyen d'une implacable propagande, cette idée mensongère qu'il y aurait une différence fondamentale entre la justice et la vengeance. Les gens ne réfléchissent pas. Un reste de chrétien étouffe leurs pensées. On suit une tradition qu'on ne remet jamais en question. Pauvres imbéciles. La morale n'est pas ainsi un sentier tracé par des aveugles et des sots.

La justice n'est pas autre chose qu'une vengeance instituée, légale, indirecte. La vengeance n'est pas du tout nécessairement attachée au concept de disproportion : on peut se venger de façon légitime et mesurée. Quand votre fille vous tape et que vous la tapez pareillement, vous vous vengez sainement. C'est même fort pédagogique, à mon sens, dans bien des situations.

La vengeance est l'action par laquelle un préjudice subi est compensé par un préjudice rendu directement. En cela, la vengeance produit inévitablement un certain soulagement : on ressent l'équité par l'annulation des torts mutuels qui se compensent. L'impression de vengeance, loin d'être condamnable, est même nécessaire au bien-être d'une société, puisqu'on ne peut obliger les individus à pardonner des outrages et des maux qu'on leur a fait subir. Sans cette impression salutaire, on perpétue le mécontentement des victimes – ceux qui sont déjà à plaindre. Et l'on aurait tort de prétendre, comme on le fait sans rien connaître des citoyens que leur caricature, que les victimes veulent un mal exagéré pour l'auteur de leur préjudice : elles veulent à peu près pour lui ni plus ni moins que le mal qu'elles ont enduré.

Toute société qui a une conscience éclairée de la justice s'efforce d'harmoniser au plus juste le préjudice et le châtiment. Un homme qui vole un objet doit restituer l'objet volé et compenser d'une façon ou d'une autre le temps de son indisponibilité. Un homme qui en blesse un autre, voyons... la conséquence directe d'un coup est toujours une privation plus ou moins grande et durable de la liberté d'agir, de sorte qu'il n'est peut-être pas encore nécessaire de recourir à des tortionnaires légaux par souci d'équité : l'emprisonnement, il me semble, répond assez bien à ce préjudice. Quant à l'homme qui est reconnu coupable d'un meurtre, il doit mourir aussi, car j'ai beau chercher, il ne me paraît pas exister d'équivalent compensatoire à la mort de quelqu'un – sans cette mort du coupable, nul plaignant n'est jamais vraiment satisfait. C'est ainsi. Ça ne me fait pas spécialement plaisir de le dire. Et ça n'en fera pas davantage à la famille des victimes : simplement, ce sera juste, voilà tout. Le tueur s'en tire même à bon compte, si on y pense : on ne réclame pour lui aucune des circonstances terrorisantes qui ont probablement entouré son méfait, on ne demande pas à ce qu'il souffre, on le dispensera du viol qu'il a peut-être commis ; seul le résultat similaire est escompté, justement.

À partOù les histoires vivent. Découvrez maintenant