Réminiscence - making of

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« Réminiscence » est l'une des premières plongées dans les tendresses pudiques de mon monde intérieur. On y pourrait sonder et discerner, dans ses replis psychologiques, une grande profondeur, une sensibilité délicate et encore palpitante, quelque chose comme les linéaments d'une âme, produits d'un passé et d'espoirs probablement liés aux constructions de l'enfance. Celui qui se livrerait à une telle analyse, je lui souhaite sincèrement bon courage !

C'est en tous cas la narration d'un rêve véritable qu'il m'arrive régulièrement de faire.

Mais il faut, au préalable, que j'explique mon rapport singulier avec l'univers des rêves.

Depuis mon adolescence, je forme ce qu'on appelait (j'ignore si l'appellation a changé) des « rêves conscients ». Ce qui signifie que j'ai pris peu à peu l'habitude de savoir que je rêve au moment où je rêve, au point qu'aujourd'hui je ne forme plus aucun rêve où je ne me sois du moins « interrogé » si je rêve. C'est que mon moi rationnel distingue toujours au cœur du songe quelque élément impossible, et plutôt que de l'ignorer comme cela arrive en général, je ne puis m'empêcher d'intégrer cette invraisemblance au cadre global d'un rêve : « Soit ! je suis en train de rêver, deviné-je bientôt. Eh bien ! je puis toujours poursuivre, on verra bien ! Il suffit que ce rêve devienne trop pénible, et je saurai me réveiller. » (car enfin, je ne contrôle tout de même pas le contenu du rêve).

Et certes je parviens en général à me réveiller volontairement quand je le décide : dans mon sommeil, j'écarquille alors les yeux de toute mes forces et je me retrouve très vite dans l'obscurité de ma chambre. Ou bien, je sais qu'en me suicidant exprès dans l'univers du songe, je me réveillerai – et je n'ai jamais vu qu'un rêve se soit poursuivi après le moment où je sautais dans le vide.

Évidemment, l'esprit n'aime pas se laisser ainsi manipuler par la conscience : j'ai le souvenir vraiment affreux, terrible, monstrueux, d'un rêve que j'avais ainsi « forcé » et qui me laissa dans mon lit, au matin d'un jour de travail. Je m'éveille, vais prendre ma douche comme d'ordinaire, puis fais ma toilette quotidienne... et je me réveille une nouvelle fois ! C'est que mon esprit m'avait trompé en rêvant un réveil vraisemblable ! D'y penser, j'en ai encore froid dans le dos : vous n'imaginez pas à quel point il est troublant de se savoir capable de rêver sa vie ! Et puis, songez-y : quel sadisme il a fallu à une partie de mon esprit pour se figurer exprès un songe aussi stupide que celui où l'on se voit soi-même se brosser les dents !

En revanche, les ponts entre mes états de songes et de veille sont plus courts, plus étroits que chez la plupart des gens. Quand je rêve, puisque je sais que je rêve, je ne m'empêche pas de former des appréciations sur mes rêves, et je me dis par exemple : « Tiens ! c'est original, cela ! C'est bien pensé ! cela ferait un bon scénario pour un livre ! » et il m'arrive de me comporter comme au-devant d'un film, par exemple d'apprécier les décors, d'inspecter de plus près des choses ou des personnages, de féliciter la façon dont le sentiment est construit et même l'horreur... ; et au cœur du rêve, je tâche en particulier à retenir certaines images, certains noms par exemple, et d'autant plus méthodiquement que je sais que le moment du réveil est celui redoutable où l'on oublie la plupart des rêves. Je me concentre alors, je me répète ce mot, et je me livre même à des expériences – curieuses...

J'ai une liste de ces mots retenus – des noms de personnage, par exemple – que j'ai immédiatement écrits au réveil. Et de plus en plus, j'ai au moment du rêve le sentiment que le rêve m'est étranger, qu'il se rapporte à quelque chose de vrai, quelque part ailleurs sur Terre : c'est que, au même instant, je ne comprends pas comment j'invente une telle chose, au point qu'il me semble, en me l'imaginant, que la pensée m'est extérieure. Quand je retiens le nom d'un lieu par exemple, je vais le rechercher sur Internet dans l'espoir qu'il existe dans la réalité. Et je m'interroge sans cesse, jusqu'au trouble : savez-vous s'il existe une chaîne de magasin appelée « Ferlex » dont l'une des boutiques est située dans un centre-ville, à l'angle d'une rue qui débouche sur la Loire où baignent les fondations d'une maison ancienne dont, pour une obscure raison, je connais parfaitement la disposition intérieure et que je souhaiterais revisiter ? Un féru d'histoire ou de littérature pourrait-il me dire si un roi réel ou imaginaire s'est déjà appelé « Hegstadt » ? Le nom de « Müler Palper » évoque-t-il quelque chose à quelqu'un ? A-t-il déjà existé une expérience ou un dossier dont l'appellation secrète fut « Code Perry » ? C'est que très sincèrement je ne me crois (sais) pas capable d'inventer de telles choses, du moins de les improviser.

À partOù les histoires vivent. Découvrez maintenant