The City of Love - making of

114 7 25
                                    

Voici la première version de « The City of Love », le morceau « d'étude » en prose qui m'a servi à exprimer le poème final. Je n'ai pas coutume d'écrire spontanément en anglais, c'est pourquoi le texte originel est en français : je le reproduis ici avec toutes ses lacunes primitives, ne serait-ce que pour aider à la compréhension des non-anglophones. Ceci dit, même un faible interprète constatera que ces notes ne constituent pas la traduction littérale du poème définitif :

« Dans cette Cité, j'ai voulu m'installer ; tous les gens semblaient si heureux et si doux. Des façades claires, des gazons taillés courts. On viendra vous aider, c'est la cité de l'amour.

« J'ai fait mes valises et je suis venu. Ma religion n'était pas la leur, je n'en avais pas. Ma morale, quoique discrète, n'allait pas comme il faut, alors ils m'ont dit : reste, nous t'aimons si. Si tout va bien : pourquoi ça n'irait pas ?

Leurs visages m'ont paru lisses et maquillés alors. J'ai dit : pourquoi ? pourquoi faut-il vous ressembler ? — Parce que, ont-ils dit, parce que c'est la cité de l'amour. — Eh bien ? N'existe-t-il donc qu'une façon d'aimer ? J'ai vu à leur regard la haine et l'opprobre. Reste, ont-ils dit, reste si tu veux. Nous t'aimerons tant qu'à la fin tu aimeras comme nous.

« Le vent souffle depuis, un vent de solitude. Des yeux percent de tout le voisinage à travers les fenêtres et les pierres ? Ô cette cité ! Rendez-moi la liberté ! Votre amour ne veut que des mains fermées et des esprits étroits ! J'ai rangé mes affaires et j'ai laissé après moi les rues de goudron propres et les buissons tranchés.

« Depuis, pas moyen de m'insérer nulle part parmi les hommes. C'est qu'à l'entrée de chaque ville on peut lire : la cité de l'amour. »

C'est une question très légitime de savoir pourquoi ce poème fut tourné en anglais ; je n'ai, en revanche, aucune réponse tout à fait satisfaisante à apporter là-dessus ; c'est simplement qu'après avoir tâché en vain de trouver mes rimes pour en faire un sonnet, j'ai constaté que mes notes étaient trop longues pour cette forme poétique, et que j'ai découvert plus spontanément des rimes en anglais. Mais que mes lecteurs inhabiles en cette langue se rassurent : je ne crois pas devoir en faire une habitude, ce fut une expérience bien particulière que je ne suis pas sûr de renouveler, même si je suis satisfait, au fond, de la tournure du texte final.

Ce poème « chante un désenchantement » ; c'est peut-être ainsi une sorte de « poème de formation », relatant l'impossibilité, pour un être impeccablement intègre, de s'insérer parmi n'importe quel milieu d'hommes. C'est que, pour se faire admettre d'une foule, il faut toujours généralement consentir aux conventions majoritaires et à ses hypocrisies morales, et, à ce jeu de mondanités et de compromis, on sacrifie nécessairement une partie de son être – et c'est bien souvent la meilleure, celle qui ose et crée vraiment, celle qui ne se résout pas à l'inepte imitation d'autrui.

L'adaptation automatique à des mœurs est le symptôme, à mon sens, d'une espèce de déclin mental. On suit des manières et des coutumes au lieu d'en inventer, on concentre ses efforts pour devenir quelqu'un d'autre, une sorte de personnage social et commun, on se rassure à ce jeu qui finit par prendre un temps considérable et par piéger la personnalité dans des moules plutôt que de la développer.

C'est exactement comme ça, par exemple, qu'on finit par se conformer à des cultes. La plupart des croyants ne sont que les imitateurs de leur environnement : on ne peut pas exercer une liturgie, accepter un dogme et en même temps conserver sa raison autonome. L'esprit est tordu par des pratiques observées, il y faut de cette soumission qui vainc l'individu et son élan d'indépendance, et l'on finit paresseusement par chercher à être, purement et simplement, une créature d'imitation.

À partOù les histoires vivent. Découvrez maintenant