Que les passions s'épuisent - making of

21 2 18
                                    

Je me souviens de l'Angoisse, un soir où je me persuadai de devoir reprendre l'écriture de mon roman ArkOneaprès presque une année d'arrêt, à l'idée de cette œuvre en attente qui n'était alors pas rédigée au tiers. Toute son intrigue était pourtant minutieusement planifiée par chapitre, mais une habitude de l'article, une sorte de priorité et d'urgence surtout que j'accordais à cette forme en vertu de la réalité qu'elle examine plutôt que d'une fiction à explorer, m'avait fait un devoir impérieux de n'y pas déroger, et j'anticipais déjà que le retour au roman exigerait de moi une grande assiduité avec abandon temporaire de mes Discussions. Je disposais certes d'une longue avance dans la publication de ces réflexions, une dizaine de mois séparaient leur rédaction de leur édition au rythme d'une parution tous les trois jours, néanmoins je devinais qu'il me faudrait sacrifier en partie leur écriture à l'autel d'ArkOne, même si le rare lecteur de mon blog, lui, ne s'en apercevrait pas.

Produire un roman est d'évidence une tâche au long cours, il ne fallait pas m'illusionner sur la possibilité de m'y livrer à mes heures perdues, en dilettante. J'avais d'ailleurs interrompu l'écriture du récit sur une difficulté narrative par laquelle il me faudrait justement recommencer et trouver des enchaînements délicats. Le labeur m'apparaissait donc dans sa globalité, dans sa durée, dans son ampleur, et si je ne rechigne pas au labeur – j'avais à l'occasion relu ce début que je continuai de juger bon, et je m'étais maintes fois prouvé, en le prolongeant quelquefois d'une page ou deux, que je n'avais pas perdu ma capacité d'y intégrer de respectueux ajouts, en somme j'étais bien assuré que je savais toujours écrire ArkOne –, la dimension de cet effort, pour lequel je n'avais nulle certitude de la nécessité, me communiquait bien de l'appréhension comme au seuil d'une erreur dont l'engagement est sur le point de vous coûter cher. Je ne suis pas de ceux qui se livrent à un travail sans le mener méthodiquement à terme, par hasards, par faiblesses de la volonté, par caprices, et l'arrêt que j'y avais mis m'avait été dicté par le profit supérieur de travaux plus compliqués et d'une autre nature, philosophique et polémique ; or, combien de temps allais-je dépenser sur cette œuvre imaginaire, peut-être sans avantage ? Mes fictions, tous mes livres en général, pour des raisons qui ne dépendent peut-être pas entièrement de leur nature, ne m'ont rien rapporté, mais au moins sur mon blog mobilisais-je une poignée de lecteurs, ainsi que des réactions sur quelque réseau social, nourrissant par très lents progrès une vague publicité. Du reste, mes Discussions me passionnaient, dévoraient ma contention et absorbaient mon goût du perfectionnement ; je sentais combien elles parvenaient à développer mon esprit : je redoutais, à les abandonner même de façon provisoire, de stagner, idée qui m'est insupportable et qui provoque toujours chez moi un incommensurable mépris.

La fiction est toujours contemplation, même si elle implique une extrême rigueur. J'ai déjà expliqué combien il diffère de transmettre des images plutôt que d'expliciter des raisons. J'avais estimé que le second procédé est foncièrement plus difficile que le premier, et renoncer au difficile, pour moi, est toujours une douleur, je ne m'y résignais pas facilement, j'y répugnais et résistais beaucoup. Mais aussi, j'étais au point où, faute de reprendre bientôt mon roman, je sentais que j'allais l'abandonner pour toujours, que mes dispositions d'esprit s'en éloigneraient sans espoir de retour, qu'il ne serait plus question de m'y replonger d'ici un ou deux ans. Rien de plus inutile que d'essayer, par exemple, de compléter une œuvre oubliée de jeunesse. Or, ça faisait déjà un an. S'il m'est en effet douloureux de perdre du temps, en toutes circonstances, douloureux aussi de consentir à avoir perdu du temps. Les 27 000 premiers mots d'ArkOne étaient bons, et sans doute ne retrouverais-je plus jamais ensuite la tentation de les poursuivre. Il me faudrait jeter ce début ou, du moins, le considérer comme un exercice, comme une simple étude ancienne... ce qui, admettons-le, reviendrait à peu près au même.

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