Une annonce très sérieuse - making of

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Je ris mais je suis très sérieux (il existe même une façon de plaisanter avec désespoir) : des vingt lecteurs qui me suivent chaque jour, de ces vingt-là en moyenne qui portent en eux assez de discipline et d'effort pour essayer régulièrement de comprendre un propos situé au-delà de la platitude et de l'évidence ordinaires, je voudrais qu'il en fût d'assez hardis – et même tous vaudrait encore mieux – pour s'engager dans la parole, qui est le début d'une action et d'une œuvre. Je les enjoins, si j'ai correctement enseigné l'exemple d'une implication, à s'élever hors du silence, à ne pas supposer que le silence soit plus qu'une attention et peut-être qu'une lâcheté, à oser devenir l'égal, à rivaliser, à risquer une conquête, quelle que soit l'ardeur présumée du défi à écrire. Rien qu'en tant que lecteur, je crois que généralement il relève du sens du devoir et de la dignité, quand on est propre à admirer, de promouvoir le travail des meilleurs, de développer leur public, d'accroître leur écho, de tendre à répandre la qualité de leur talent – nous ne vivons plus en un temps, soyons-en assurés, où une publicité si délicate et critériée incombe à des « professionnels ». En particulier, je crois qu'il ne faudra plus tarder à former une élite, à réunir en un groupe redoutable et superbe les plus fines langues et les plus fins esprits de notre temps : on ne les identifie plus nulle part, il n'y a plus, comme accessibles et comme notoires, que des vendus et des pédants, tous surestimés. Le moment approche où je convoquerai des apprentis, provoquerai des confrères, et distillerai l'incitatif de l'appellation d'une distinction qui est déjà un éloge – nous ne pouvons plus beaucoup surseoir, vu notre âge, vu notre ère tant déchue, vu le peu que nous valons sans initiative, à débuter cette entreprise. Ce n'est, même après tout, qu'une question de cohérence et de recul : l'unique solitude mettrait au moins vingt ans à produire et à publier nos messages, mais il en faudrait bien moins grâce à l'action exponentielle d'un murmure démultiplié ; l'expérience vérifiera bientôt si nos paroles depuis le début sont en actes, si nous sommes propres à investir les mots, si nous ne nous dupons pas quant au moyen d'atteindre un auditoire plus vaste – et je jure que les Féaux dont il s'agira, je leur sacrifierai, au nom de notre belle Féauté, la part d'attention qu'ils méritent. Il sera temps de se signaler, on lèvera la main et je prendrai les noms, et déjà je vous apprête à songer à lever la main, parce que les hommes doivent entamer leur carrière d'homme par une volonté, et lever la main pour répondre à une invitation, c'est déjà, un peu, se hisser – quoique sur la pointe des pieds. Passif, actif... j'ai déjà démontré comme il n'est que le travail de la pensée qui distingue, et chacun doit se résoudre enfin à choisir ce qu'il considère important ou bien divertissant, ce dilemme-ci doit s'imposer à l'esprit comme une fondation d'élévation ou d'amusement – pour ma part, je ne veux plus divertir, je n'ai aucun goût pour le clown ou le bouffon, moins encore pour le faiseur d'excuses à vacuité : on me lit ? alors on m'applique ou me réfute, rien d'autre, et c'est tout logiquement que j'espère des compagnons et chasse les consommateurs. Qui se sent artiste, qu'il se prépare, qu'il commence chez lui dès à présent son initiation, qu'il écrive des choses pertinentes ou belles selon ce qui l'inspire, puis je reviendrai dans quelques temps, et, comme il est prévenu dès ce jour, je l'inciterai à se présenter à l'audition de l'individu : si son doigt grimpera ce sera pour indiquer une volonté ferme, s'il demeurera baissé ce sera pour disparaître de nouveau dans la routine et les compromissions. Qu'on y réfléchisse, en attendant. En toute grande œuvre, grand tort à qui manque les débuts. Suffit d'indiquer, pour l'heure, après ce texte : « Je veux » – ce sera déjà un petit commencement d'acte.

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