L'homme est mort - making of

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La paix que ce doit être, un monde sans homme ! La dévastation de toute humanité ! le délaissement d'une nature laissée à sa pleine hégémonie, dans une liberté de choses, dans une transcendance désolée, impérieuse, irrésistible ! Le silence inédit et fatal d'une sorte de néant épandu sur la planète par l'effet d'une volonté immatérielle, désincarnée ! Jusqu'aux décombres transfigurés, usés et reconquis, inexorablement, aplanis, nivelés par les siècles en cours et en devenir, par le temps, l'allié de cette onde radiante et implacable ! Il me semble que le succès des représentations d'apocalypses, dans la littérature et le cinéma, procèdent de ce goût presque instinctif de la destruction inéluctable selon lequel l'héroïsme pourrait naître tout soudain de l'absence de concurrence : et voilà de l'exaltation de l'esprit pionnier où tout est à reconquérir ! Ça, et la paix, bien sûr ! Rien de plus beau, en un sens, que l'étrange permanence d'un building réduit à l'état sauvage, dans cet opportunisme étal des millénaires qui s'écoulent languidement, parmi les bactéries stupides, les végétations inconscientes, les oiseaux négligents, en n'importe quelle lumière minérale de la journée ou de l'an ! Le souvenir très bref, exceptionnel, bientôt traversé et évanoui, d'un bouleversement de continuité, d'une immédiateté d'un chaos et d'une adversité vaincus, où une espèce non naturelle, l'homme, transitoire idole, fut tangentement une rupture et une anomalie, où tout retombe enfin dans le souffle infini du cosmos satisfait et repu.

Un écrasement et une victoire de l'impitoyable cosmos.

Car c'est cela le cosmos, c'est la nature et rien d'autre, ou alors avec, à la rigueur, une tolérance pour la biologie primitive et impuissante que l'alentour peut réduire sans difficulté en esclavage ou en poussière : il n'existe pas de vie, moins encore de vie autonome, dans la nature pure et intègre – j'en ai déjà longuement parlé. La nature de mars ou de la lune ne consiste qu'en cela : un éternel silence, une inactivité immuable, des pierres mortes et un tournoiement d'univers, avec des exceptions de feu et de collisions, atones et sourdes. Il ne faut peut-être pas inconsidérément aspirer au règne de la nature : c'est vouloir l'extinction de l'homme, car rien ne fourmille dans l'univers. Peut-être pas. Après tout, c'est comme on veut : cette paix, il est vrai, est si tentante ! En avoir conscience, simplement. Ou l'homme domine la nature et force la façon de symbiose dont il a besoin pour vivre d'elle, ou bien il meurt par elle sous sa haineuse domination. Car la nature est une haine tranquille et résolue contre l'humanité. Nous la révérons parce que nous distinguons sa force obtuse que nous devinons supérieure, et dans nos prières propitiatoires, nous aspirons religieusement à nous la rendre favorable, comme jadis les déesses de la Terre ou de la Fécondité. Mais cette entité profite seulement que nous ne puissions pas entendre sa pensée : « Meurs ! nous murmure-t-elle sans cesse, sans colère mais absolument impassible. D'où vient donc, Homme, que malgré mes tentatives tu ne saches pas mourir comme je te l'ordonne ? »

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