Jeunes femmes d'aujourd'hui - making of

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Franchement, du temps de ma jeunesse, je dois avouer qu'il n'y avait déjà pas lieu de se sentir transporté par le discours d'une adolescente, et moi-même, garçon, j'avais conscience de ne pouvoir ravir non plus par les émouvants impromptus de mon langage et de ma pensée, de sorte qu'il n'était pas fort question de tenir à nos entretiens pour les grands éclats d'intelligence ou de transport qui en émanaient – foin du rêve romantique et des brins de fougère tendres ! Nos verdures manquaient clairement de maturité et d'idéal ; nous n'étions point des littérateurs ; nos préoccupations ne passaient que par des considérations plates sur l'à peu près immédiat. Seulement, nous nous sentions attachés à cette proximité – du moins nous les garçons d'avec les filles – par quelque électrique volonté de séduire : cela nous fascinait, dans nos sentiments et dans nos corps. Une fille nous était avant tout un être à qui il fallait faire bonne impression, et nous tirions d'elle une vraie fierté rien qu'au rire que nous provoquions, une volupté parfois vertigineuse rien qu'aux vêtements qu'elle portait comme tout exprès à notre attention. Nous les convoitions, certes, sans beaucoup de distinction, pour la seule raison qu'elles étaient filles, et la possibilité de réussir à leur plaire était logiquement la grande stimulation qui entretenait l'espoir dans nos rencontres et maintenait le challenge de nos émulations verbales et physiques – nos prouesses, nos tournois : nos effets. C'est presque uniquement à cela que nous devons d'avoir apprécié nos présences, garçons et filles, peut-être filles et garçons aussi, et je ne vois guère autre chose qui nous ait liés, elles et nous. Nous vivions sur la brèche, en perpétuelles conquêtes amoureuses – les couples déjà établis de garçons et les filles ou bien sortaient d'eux-mêmes de ces rapports où tacitement ils n'avaient plus lieu d'être, ou bien ils affichaient aux autres leurs façons d'aimer, manière encore de séduire pour l'après. En ce système relationnel que nul n'eût alors supposé contingent mais qui, en nos tréfonds, nous torturait à telles intensité et régularité qu'on se le figurait universel d'évidence, même des filles assez laides, trop grandes ou boutonneuses, peu appétissantes en somme, en ne refusant pas qu'on les courtise, en se laissant approcher avec assez d'ouverture, en nous y incitant par de subtils sourires et par de flatteuses mignardises, devenaient tentantes, touchantes, charmantes, et elles recevaient avec une courtoisie assez délicatement apprise nos témoignages de courtisans, sincères quoique peut-être moins intéressés que pour les autres – je veux dire que nous n'aurions pas concrétisé avec elles un succès, encore que... le triomphe seul peut quelquefois pousser à sa consommation, et durablement. Toutes avaient leurs formes féminines pour appels. Leur parfum, leurs cheveux, leurs poignets, leurs gestes, l'absence toujours surprenante et envoûtante de bosse quelque part, et l'existence des seins, tout nous était piège et désir trouble, tout nous poussait à des sièges insidieux et tendres – nous ne devions cependant pas paraître importuns, indélicats, harceleurs, ça non : la fille nous aurait chassé et nous aurions perdu de notre blanche aura par balourdise et défaut de chevalerie. Elles savaient sans avoir reçu de leçon explicite comment nous encourager ou nous dépiter, de façon à profiter de nous pour se désennuyer et s'exercer tout ensemble à des appâts décisifs pour les moments cruciaux, mais jamais elles ne se sentaient perdre leur pudeur et leur probité. Tout dans cet art était transmission et enseignement : adaptation. Rien qu'au code mystérieux et complexe de ce langage, il y avait à apprendre même d'une fille assez vide et vaine : on s'entraînait toujours à susciter des réactions et de l'affection, on s'efforçait de lier mutuellement conversation, on devinait des règles humaines gravées dans les cœurs pour attraper, pour attendrir, pour se valoriser, et on se surveillait, on se contemplait, on apprenait à produire des questions et des réponses, on créait en nous-mêmes des critères de la pertinence et de l'émoi. Une excitation galvanisante saisissait le garçon lors d'une réussite : il avait parfois une idée fulgurante, repartie ou pensée originale, une manière de convaincre, une splendide lumière de persuasion, et l'étrangeté de son inspiration lui donnait de l'identité et de la valeur dont il prenait note, la gardant à l'esprit pour se former – c'est exactement cela, les relations garçons-filles étaient toujours à quelque degré des occasions de formation, d'édification de soi. Le jeune homme pouvait ensuite espérer que ces marques de distinction, qu'il avait mémorisées et intériorisées d'abord ainsi que de simples astuces efficaces puis psychologiquement comme de certains indices d'essence, seraient remarquées et que, en contribuant à son élection par une jeune femme, elles lui permettraient à la fin d'accéder à une main choisie plutôt qu'imposée par des faiblesses, prélude alors, bien entendu, à bien d'autres récompenses fiévreuses et affolantes. American pie, en gros, avec infiniment de nuances possibles dans la profondeur de la pensée.

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