Blandices - making of

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Il n'y a guère à dire, et la femme est souvent créature étrange et contradictoire : elle joue en conscience de ses charmes, déploie avec infiniment de ruse toute la gamme de ses attraits minutieux – intuitif ou volontaire ? Volontaire ! car il ne s'agit pas de son corps mais bien de la façon qu'elle a de s'en servir pour suggérer – et quand ce jeu réussit, quand l'homme appâté franchement répond à ses avances tacites par de francs témoignages d'intérêt, elle déplore cette banalité et ce prosaïsme masculins qui confondent goût de plaire et volonté de plaire à quelqu'un, et elle reproche à l'homme sa lourdeur, son manque de second degré et de finesse, ainsi que le malentendu même qu'elle lui a provoqué pour se faire valoir, non sans user parfois d'une mauvaise foi sophistiquée et indigne.

M'entend-on ? Non, pas encore, pas encore : on me conspuerait, autrement ! Une femme très joliment vêtue se rend dans la chambre d'hôtel d'un homme. On sait bien, n'est-ce pas, sous quel implicite cette visite quelque peu impudique et déplacée risque de se placer, mais elle feint de ne pas s'en apercevoir ; tout à coup, elle a omis le sens des connotations. Elle y vient pour réclamer un certain travail, rare, bien rémunéré et peut-être même un peu au-dessus de sa compétence, elle prétend ne croire que cela, à cette heure : peut-elle ignorer qu'on n'obtient pas décemment un job de cette façon, qu'il existe pour cela des bureaux, des entretiens officiels, des salles ouvertes, publiques, et que le protocole ordinaire est tout différent, en somme ? N'importe, elle entre, parfumée : elle n'ignore pas elle-même pourquoi elle a ainsi paré sa nudité d'odeurs appétissantes.

L'homme entend, et certes, il ne se peut qu'il ne se soit servi du prétexte du travail pour vérifier une tentation. Tout, dans l'amour, se sert de prétextes, il n'y a pas autre chose. On invite tout d'abord, et l'on vérifie si la personne agrée ou décline : toute l'histoire de la séduction s'y résume.

Elle est venue ; il la prend donc, affolé par la situation, pressé par l'aubaine qui peut n'être que provisoire. Résiste-t-elle ? a-t-elle résisté ? Elle croit s'en souvenir ; il affirme, lui, qu'il ne l'a pas remarqué : les deux peuvent être sincères. Si elle avait crié sans doute dans cet hôtel de luxe, on ne l'aurait pas laissée sans défense ; d'un autre côté, s'il n'avait pas quelque peu abusé d'elle, il ne se serait pas senti si triomphalement coupable dans ce surplomb de pouvoir viril.

Après, elle obtient sans doute ce travail – marché conclu. Quinze ans après, elle...

Blandices !

J'assure que je ne vois aucun inconvénient aux apprêts des femmes, que pour rien au monde je ne souhaiterais qu'elles fussent invisibles, maintenues laides ou voilées ; mais, d'un autre côté, il faut bien comprendre, après tant de milliers d'années d'histoire comportementale, ce qui différencie les hommes des femmes. Que les femmes puissent obtenir d'un homme à peu près ce qu'elles veulent ne justifient pas qu'elles feignent d'ignorer les conventions qui cloisonnent les rapports amicaux et les liens plus intimes. Un parfum suave exposé tout près d'un nez viril induit la narration d'un corps dévêtu. On peut jouer, on en a le droit et même sans risque en n'importe quel lieu ouvert. Ailleurs et seuls, si je me penche sur une femme, rasé de près, parfumé, élégant, multipliant les contacts et les marques d'intelligence et d'humour, on pense que mes intentions ne présentent guère de possibilités d'erreurs – et c'est juste.

Il est bien des sortes de tentations – Blandices ! – pour chaque individu, et leur variété peut être, dans certains cas, une source de confusion.

J'aime percevoir chez les femmes les manifestations publiques de la coquetterie, les afféteries irrésistibles dont elles sont capables, les façons dont elles se parent pour attirer, leurs attitudes de pose antinaturelles, rires enfantins et trop subtils, déploiements inutiles de cheveux longs, regards contre-plongée oblique incommodes et suggestifs, décolletés ostensibles alors qu'il fait froid, révélations habiles de nuques et de jambes en des coiffures compliquées et des habits inutilement plaqués... On ne m'abusera pas en prétendant subitement qu'un individu ne se décore que pour lui-même : il suffit de voir comme on choisit ses vêtements, à l'aide d'un miroir c'est-à-dire en retrait de soi-même, pour sentir comme la satisfaction des parures est à un effet extérieur ; c'est ainsi, rien de tout ceci ne me surprend ni ne me choque. On pourrait tout autant, à vrai dire, m'étaler, hommes ou femmes, toutes les parties du corps que l'on veut, je ne suis pas de ceux que la société a beaucoup stylés, de sorte que je ne m'offusque de rien. Il y a bien du plaisir à contempler ce qui est beau, ce qui est recelé, ce qui est interdit, en particulier quand on y a un accès si aisé – on regarde du porno et des accidents de voiture avec un goût similaire. Les façades sont généralement ennuyeuses, hors ce qu'on devine derrière ! mais si, au surplus, les intérieurs, masqués seulement d'imperceptibles voiles, sont suggérés, alors ! Je prétends par là une première chose, c'est que tout ce qu'on montre ou qu'on ne dissimule pas peut être vu à bon droit. Il ne devrait pas y avoir de loi pour interdire d'ouvrir les yeux ou de ne pas détourner le regard. Que cette observation profite ou nuise à quelqu'un, n'importe : c'est visible, j'y regarde ; qui oserait prétendre que mes paupières doivent rester scellées pour quelque chose ? Ceci vaut, à mon sens, pour tout ce qu'on peut observer y compris sur Internet : on peut légitimement douter de la légalité d'y poster certaines images notamment à défaut d'avertissement, mais si elles y sont, qu'on ne me refuse point la curiosité peut-être innocente d'y aller voir !

À partOù les histoires vivent. Découvrez maintenant