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Inès (la bête)


Ça fait dix minutes, que je tourne en rond me demandant, comment franchir la porte de mon bureau, et me rendre dans celui de mon patron, à une cinquantaine de mètres du mien sans me faire remarquer par les ouvriers.

Le seul fait de traverser toute l'usine me donne des sueurs froides. A chaque fois, que je me suis risquée à le faire, j'en suis ressortie avec encore moins de confiance en moi et j'en fais encore des cauchemars. Pourtant je n'ai pas le choix, il faut que j'y aille avant qu'il me rappelle et qu'il se fâche.

Mais pourquoi mon père veut-il tant me voir et maintenant ? Habituellement, c'est lui qui se déplace... Serait-il soufrant ? Je m'inquiète subitement. Il faut que j'en ai le cœur net ! Seulement de penser que mon paternel puisse être malade, je panique.

Ni une, ni deux, je me lance ! Je prends de quoi écrire, s'il a quelque chose à me faire noter, et quitte mon bureau bien décidée à savoir ce qui m'attend derrière tout ce monde, qui me dévisage dès que je mets un pied dans l'atelier. Ils n'ont rien d'autre à faire ?


— Vous n'avez pas du travail ?, je leur ordonne d'arrêter de me regarder comme si j'étais une bête de foire.


Si la plupart m'écoutent et se remettent au travail, certains ne peuvent s'empêcher de me fixer, comme si j'étais une personne contagieuse. Hors, je ne suis pas malade, juste défigurée d'un côté du visage. J'ai beau essayer d'y camoufler avec du maquillage, rien y fait. Tout le monde ne voit que ça ! Et moi la première !

Lorsque cela m'est arrivée, je me suis cachée pendant des mois refusant de sortir, puis il a fallu retourner à l'école, et cela a été un vrai calvaire. J'ai haïs de toutes mes forces celui qui m'avait fait ça, avant de comprendre que la haine ne menait à rien ! Qu'il fallait dorénavant apprendre à vivre avec. Ce que j'ai fait en me bâtissant une énorme carapace ! Mais ce n'est pas facile tous les jours. Surtout quand tous les regards sont braqués sur vous en permanence dès que je me permets une petite folie, comme me rendre dans le bureau de mon père. C'est complètement ridicule, je sais ! Mais je n'y peux rien, j'ai beau essayé de les affronter, rien de différent ne se produit. Tant que les mentalités ne changeront pas, je suis bonne à rester enfermée.

Pourtant je n'ai pas demandé à être ainsi. J'étais seulement au mauvais endroit et au mauvais moment. Ma mère n'a pas survécu, la pauvre, et moi, je suis défigurée à vie à cause d'un détraqué qui a pénétré dans ma maison sans y être invité. Il a tué ma mère de plusieurs coups de couteau avant de s'en prendre à moi en m'aspergeant d'eau bouillante. Mon côté gauche a tout pris. Il est méconnaissable ! Et comme si cela ne suffisait pas avec la pointe du couteau qui a servi à abattre ma maman, il m'a fait une grande balafre sur la joue déjà abîmée par l'eau, en me disant ses quelques mots :


— Tu es bien trop belle pour une petite fille !


Quand il allait me donner le coup fatal en plein cœur il a entendu la porte d'entrée s'ouvrir et est parti comme une flèche sans un regard en arrière.

Je dois la vie à mon père qui est entré juste à temps pour me sauver la vie, mais il ne se pardonnera jamais d'être resté aussi tard au travail, ce jour là. La femme qu'il aimait de tout son cœur, n'a pas survécu !

J'arrive enfin à destination et me faufile à l'abri des regards dans le cabinet de mon patron, sans même frapper à la porte, où il m'attend avec grande impatience avec ma sœur cadette, Liliana ou Lili en ce qui me concerne. Je suis la seule à l'appeler par son diminutif. Que fait-elle ici d'ailleurs ?




Publié le jeudi 4 octobre 2018


ABEL ET LA BÊTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant