Chapitre 36 - «Maman»

119 14 0
                                    

Le petit-déjeuner fut affreusement calme, me rappelant fatalement celui qui avait suivi la mort de Teddy. Cette fois-ci j'étais affectée au nettoyage de la table avec Sheila. Olga, Denise, Milla et Éric s'étaient enfermés dans la bibliothèque dès la fin du repas et nous avaient interdit de s'y rendre. Ça ressemblait vaguement à une réunion de crise.

***

Nous étions installés sur le canapé du salon depuis près d'une demi-heure et seul le bruit des cartes troublait le silence pesant. Yoann poussa un soupir en jetant les cartes qui lui restaient en main sur la table basse.

- Ce n'est pas possible ! Vous vous êtes ligués contre moi ? J'ai perdu toutes les parties sans exception...

Sheila laissa échapper un gloussement avant de lui répondre.

- Tu n'as pas besoin qu'on s'allie pour perdre !

Robin rassemblait les cartes sur la table pour les mélanger et les redistribuer lorsque nous entendîmes des pas dans l'escalier. Nous nous tournâmes tous en même temps pour voir l'ancienne génération de Sentinelles descendre les dernières marches. Milla se dirigea d'un pas incertain vers moi pour finir par s'immobiliser à une vingtaine de centimètres de mes pieds.

- Il me semble que tu attendais quelques explications de ma part, déclara-t-elle sur un ton gêné. Il est temps que je te les donne, tu voudrais bien sortir marcher un peu avec moi ?

- Oui, lui répondis-je après une hésitation.

Je la suivis à l'extérieur et nous commençâmes à marcher vers les bois qui entouraient la propriété. 

- Cindy a vraiment été dévastée à la mort de ton père, commença Milla. Ils étaient extrêmement proches, elle le considérait plus comme un frère jumeau qu'un cousin. Et c'était réciproque. Le soir où il est décédé c'est elle qui te gardait, comme à peu près toutes les fois où ton père ne pouvait pas le faire parce qu'il était avec les Sentinelles. Quand il est rentré d'un de ses voyages avec toi qui n'étais alors qu'un nouveau né, elle n'a pas cherché à comprendre, elle t'a acceptée parce que tu étais la fille de la personne dont elle était le plus proche.

Je ne sais pas quel circuit Milla nous a fait faire dans les bois mais nous nous étions retrouvées à l'entrée du cimetière. Milla me guida dans les allées au milieu des tombes avant de s'immobiliser devant une en particulier.

- C'est celle de ton père, me murmura-t-elle.

Nous restâmes devant un long moment puis une interrogation s'ancra dans mon cerveau.

- Pourquoi ma mère ne m'a t'elle pas gardée avec elle ? Demandai-je.

- Elle n'aurait jamais dû avoir un enfant avec ton père. En restant avec elle tu risquais la mort dès l'instant où le peuple de ta mère aurait compris que tu étais une enfant... une enfant d'un américain.

- Pourquoi tu parles toi aussi de «peuple» ? Ce sont des gens comme nous, non ? On peut dire famille.

- Je ne fais qu'employer le terme qu'utilisait ton père. Je ne sais pas plus que toi pourquoi c'est ce mot spécifique qui est choisi pour les décrire.

Un silence s'installa à nouveau entre nous deux.

- Cindy sait peut-être où vit ma mère ! M'exclamai-je tout à coup. Tu as dit qu'elle était très proche de mon père donc il lui a peut-être dit où elle est !

- Je crains qu'elle ne sache rien mais nous devrions lui rendre visite, je pense que vous avez des choses à vous dire...

***

Cindy vint nous ouvrir la porte après que nous ayons sonné. Je ne m'attendais pas à ce que la colère que je ressente à sa vue soit si puissante mais il faut croire que j'avais tenté de refouler en vain mes émotions. Après tout, cette femme s'était faite passer pour ma mère pendant plus de 17 ans donc ressentir autant de colère à sa vue était prévisible. En connaissant la vérité, je me rendais compte que je ne lui ressemblait pas : mes cheveux étaient aussi sombres que les siens étaient chatains clairs et ma peau aussi naturellement bronzée que la sienne pâle.

Elle s'écarta en silence pour nous laisser rentrer, Milla avait du la prévenir du motif de notre petite visite. Sans un mot nous  nous installâmes à la table de la cuisine.

- Café ? Demanda Cindy.

Milla accepta tandis que je fixai «ma mère» du regard.

- Bon, je suppose que tu vas me demander pourquoi je t'ai fait croire que j'étais ta mère, commença Cindy, ce que je sais de ta véritable mère ou encore je ne sais trop quoi... Donc je vais devancer tes questions et tout te raconter.

«Ton père avait un an de plus que moi et c'était mon cousin mais il était comme un frère. Je me souviens qu'une fois, au collège, un groupe de dernière année avait voulu me racketter mon déjeuner. Ton père était arrivé à ce moment là et les avait tiré par le col jusque dans le couloir pour leur donner une correction dont ils doivent encore se souvenir... Il a toujours été là pour moi et il a toujours pu compter sur moi, nous étions vraiment inséparables. Et puis un jour il est parti 6 semaines en voyage au Brésil. Il est revenu en me disant qu'il avait trouvé l'amour de sa vie, qu'elle était absolument merveilleuse, sublime et gentille. Le discours typique d'un homme complètement fou d'amour. L'heureuse élue s'appelait Ellen. Après cette rencontre il est retourné souvent au Brésil pour la voir mais le peuple d'Ellen lui avait formellement interdit de revoir ton père. Malgré tout, ils se sont mariés en secret selon les traditions locales et un an plus tard, tu naissais. C'est elle qui choisi ton prénom, il signifie « grâce » et elle trouvait que tu étais la petite créature la plus gracieuse qu'elle ait vue m'a confié ton père. Mais cette naissance n'était pas la bienvenue puisque la famille de ta mère avait fini par apprendre qu'elle avait bravé leur interdiction. Alors ton père et Ellen furent obligés de se quitter et tu rentras aux États-Unis avec mon cousin. Mais ta mère a toujours été à tes côtés avec le prénom qu'elle t'a choisi. Puis ton père a été assassiné et j'ai récupéré ta garde. Quelques jours après ton installation chez moi, tu m'as appelée maman et je n'ai pas eu le courage de te contredire, que je n'étais pas ta mère et que celle-ci était quelque part au milieu du Brésil. Alors tu as continué à m'appeler maman et je n'ai jamais eu suffisamment de courage pour te raconter la vérité quand tu as été en âge de comprendre. »

*******

N'hésitez pas à commenter et voter !

Les Sentinelles 1 - La Sentinelle D'ArgentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant