Chapitre 47 - Le gemmologue

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L'énergie me foudroya sur place et je reculai rapidement ma main, comme brûlée par le contact de la pierre. Je fouillai le bureau et parvins à mettre la main sur des mouchoirs dont je me servis pour sortir le cristal et l'observer à travers la lumière, il irradiait de reflets irisés tandis que je le faisais lentement tourner dans les rayons du soleil qui pénétraient à l'intérieur de la pièce. J'étais absolument subjuguée par ses chatoiements, c'était plus fort que moi : une force invisible m'attirait irrémédiablement vers lui. C'en était presque malsain. Je repliai les mouchoirs sur la pierre pour la dissimuler à mes yeux et ce fut comme si le charme était rompu, me laissant un vide au creux de la poitrine. J'envoyai un sms à Zita, lui demandant de me rejoindre dans le bureau. Cette situation n'était pas normale et j'avais besoin qu'on réfléchisse ensemble.

Elle toqua à la porte cinq minutes plus tard et je l'autorisai à entrer. Je m'apprêtai à parler mais ses yeux s'écarquillèrent et elle s'empressa de claquer la porte dans son dos.

- Qu'est ce qu'il s'est passé Anaïs ?

- Comment ça ?

J'étais un peu déboussolée par sa réaction et je le fus encore plus en voyant que ses pas se faisaient hésitants dans ma direction.

- Tes yeux... Ils sont à nouveau argentés, regarde toi-même, ajouta-t-elle en me voyant sceptique.

Je sortis mon téléphone et observai attentivement mon reflet sur l'écran éteint. Elle avait raison, mes yeux avaient changé de couleur. Je me jetai presque sur les mouchoirs qui enveloppaient le cristal et le découvrit délicatement, refaisant naître cette irrésistible attraction.

- C'est ce cristal Zita. Il s'est passé un truc trop bizarre quand je l'ai touché tout à l'heure et dès que je le vois j'ai un besoin irrépressible d'établir un contact.

Un silence s'installa pendant que Zita réfléchissait à ce que je venais de lui révéler. Je tentais de me contrôler pour ne pas saisir le cristal à pleine main comme une fille en manque de sa drogue.

- Recommence.

L'ordre de Zita sonna comme un soulagement dans mes oreilles et je tendis mes deux mains vers la petite pierre pas plus longue que mon pouce. Quand j'effleurai sa surface froide, l'énergie se répandit en moi et je soufflai de contentement. Le cristal commença à émettre une douce lueur légèrement bleutée et mes cheveux se soulevèrent légèrement autour mes épaules. Comme en écho au cristal, ma Marque se mit elle aussi à luire. Je me sentais comblée et en osmose avec la pierre et la Sentinelle en moi. Je levai les yeux vers Zita pour la découvrir bouche bée et beaucoup plus près qu'elle ne l'était il y a encore quelques instants.

- C'est incroyable, murmura-t-elle. C'est comme si cette pierre était un interrupteur pour ta Sentinelle.

Et comme pour confirmer ses dires, elle saisit le cristal, coupant le contact avec mes doigts. Au même instant ma Marque s'éteignit et mes cheveux retombèrent lourdement sur mes épaules.

- La métamorphose était complète, s'extasia Zita. Tes cheveux et tes yeux argentés, ta Marque brillante ! Il faut absolument qu'on aille en ville et que je t'amène quelque part.

Je hochai la tête, encore un peu perdue par ce qui venait de m'arriver.

***

Zita me tirait par le bras depuis presque dix minutes dans les rues de San Francisco, le cristal soigneusement rangé dans son sac à main. Elle s'arrêta si brusquement devant le devanture un peu vieillotte d'un magasin que je faillis lui rentrer dedans.

- C'est ici. Je suis venue quelques fois il y a plusieurs années.

Elle poussa le cadran en bois de la porte en verre pour nous faire pénétrer dans la petite boutique. Le courant d'air que nous avions provoqué souleva avec légèreté les plumes des attrape-rêves suspendus au plafond. Les présentoirs étaient couverts de bracelets en cuir, en perle et de toutes sortes de pierres. Un homme sortit de l'arrière boutique pour nous accueillir. De longs cheveux lisses agrémentés de plumes tombaient sur ses épaules, ses yeux étaient entourés de rides et sa peau avait la couleur caractéristique des peuples indiens.

- Bonjour jeunes demoiselles, Wakiza pour vous servir, que puis-je pour vous ?

Nous nous approchâmes du comptoir où il se trouvait et Zita y posa le paquet dans lequel le cristal était enfermé.

- Nous aimerions savoir quelle est cette pierre, et la faire monter sur un socle pour en faire un pendentif, en la modifiant le moins possible, annonça Zita.

L'indien attrapa des lunettes et se pencha sur le paquet qu'il ouvrit délicatement. Il recula brusquement.

- Naalʼeełí, murmura-t-il dans son dialecte.

Nous nous regardâmes avec Zita, ne comprenant pas sa réaction. Le regard sombre du cinquantenaire se planta dans le mien.

- Cette pierre est à vous, affirma-t-il.

- Heu, comment l'avez vous deviné ?

Un sourire énigmatique s'étira sur ses lèvres et il poussa le cristal vers moi du bout des doigts.

- Prenez-le.

- Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, paniquai-je.

Tout en lui répondant, je repoussai le cristal dans sa direction en veillant à laisser mes doigts ne toucher que l'emballage. Alors que j'achevais mon mouvement, la main du vendeur se referma sur mon avant-bras et il fixa ma Marque, les yeux écarquillés.

- Naalʼeełí, murmura-t-il à nouveau. Vous êtes destinée à de grandes choses jeune fille, mais les dangers auxquels vous serez confrontée seront tout aussi grands. J'espère que le Grand Aigle veillera sur vous.

Cet homme était plus qu'énigmatique et ça commençait à me filer la chaire de poule.

- Vous pouvez nous aider ? L'interrogea Zita en sentant le malaise qui s'installait.

L'homme hocha la tête, heureux qu'on lui demande et disparut dans l'arrière boutique.

Il revint vingt minutes plus tard avec le cristal monté sur un support pour pendentif. Il s'avança vers moi et me tendit l'objet. L'attraction se fit à nouveau puissante et avant d'avoir réfléchi aux conséquences de mes actes, je pris le cristal au creux de mes mains, enclenchant ma métamorphose. L'intérieur sombre du magasin s'illumina légèrement d'un éclat argenté tandis que mes yeux et mes cheveux flottants dans mon dos se paraient de la même couleur. Mais contrairement à la fois précédente, je redevins normale bien que le cristal soit toujours en contact avec ma peau. Avant que j'ai compris ce qui se passait, Wakiza s'inclina devant moi.

- Bienvenue parmi nous Naalʼeełí, prononça t'il à mon intention. Nombreuses sont les légendes sur vous et je ne pensais pas avoir l'honneur de vous rencontrer après vous avoir vue à la télé à Miami. J'espère que vous survivrez à la destinée qui a été tracée pour vous. Mon peuple avait presque cessé de croire en vous mais ces derniers jours vont les inciter à vous soutenir. J'ai stabilisé le cristal pour faciliter les transferts d'énergie, votre forme aussi devrait se stabiliser à présent. Ah, j'oubliais presque l'une de vos principales interrogations quant à ce cristal. Il s'agit d'une opale du Brésil.

Décidément, tout nous ramenait au Brésil.

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Les Sentinelles 1 - La Sentinelle D'ArgentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant